Ne pas croire que ce qui a fait temps pour nous a fait son temps pour la classe

Réponse au camarade Antonio Bórmida

30 août 2008

Chers camarades de la LSI,

Au nom du Groupe bolchevik, la cellule centrale remercie le camarade Antonio Bórmida d’avoir examiné, dans sa lettre du 14 décembre 2007, la tactique électorale formulée en janvier 2007 par un petit groupe qui intervient dans un pays lointain et qui utilise une autre langue.

Elle apprécie aussi la volonté de s’appuyer sur l’expérience de l’Internationale communiste du temps de Lénine, l’Opposition de gauche et la 4e Internationale du temps de Trotsky, à une époque où l’écrasante majorité du mouvement ouvrier rejette leur héritage, de manière ouverte (sociale-démocratie, rescapés du stalinisme) ou honteuse (les épigones du trotskysme).

Pour le camarade Antonio, la tactique du GB est « éclectique » et « incohérente » ; elle a des effets désastreux :

Cette position peut seulement contribuer à la confusion des travailleurs. (« Sur la caractérisation du PS et les tactiques électorales », Chronique du GB vol. 7, n° 1, p. 2)

La cellule centrale n’est pas offusquée de ce sévère jugement. La responsabilité des cadres du PRS et de la LSI est de critiquer notre politique électorale s’ils estiment que c’est la question essentielle de la lutte des classes en France ou que c’est la principale erreur du Groupe bolchevik.

La cellule centrale a fait traduire la critique du camarade Antonio (et a soumis la traduction au camarade pour qu’il la vérifie). Les cellules en ont discuté. Sur cette base la cellule centrale m’a chargé de répondre, ce que j’ai fait avec la même franchise. Evidemment, cette réponse n’engage pas chaque membre du groupe et encore moins les autres camarades du Collectif.

Je sais que des sections de l’Internationale « socialiste » contemporaine sont en Amérique latine, des partis bourgeois et que le PRS (La Causa Obrera) n’est pas confronté à des partis ouvriers bourgeois de masse puisque le nationalisme bourgeois a occupé cette place en Argentine. Je comprends aussi que le camarade Antonio veuille guérir le GB du lambertisme qui a effectivement capitulé tout un temps devant la sociale-démocratie.

Débuter par une question électorale en France n’est pas de bonne méthode. Si des courants communistes sont d’accord sur les grands événements de la lutte des classes et sur la stratégie révolutionnaire, les questions des élections se résoudront aisément. Mais je vais essayer de répondre, sur le terrain que le camarade Antonio a choisi.

À mon avis, sa contribution souffre de trois défauts : elle est unilatérale et simplificatrice, elle tourne le dos à la position de la 4e Internationale, elle ne débouche sur aucun conseil pratique alors que la discussion avec MI d’Allemagne fournie en note manifeste la persistance de l’illusion d’un « mouvement trotskyste ». Quant au noyau de vérité que contient l’argumentation, pour qu’il devienne utile, il faut cesser d’isoler le PS du reste du mouvement ouvrier français, il faut cesser d’isoler le PS du reste de la sociale-démocratie et analyser les partis « socialistes » et les « partis communistes » comme un aspect particulier de la lutte entre les deux grandes classes.

  • À l’arrivée, une question sans réponse : que fallait-il faire lors de l’élection présidentielle de mai 2007 en France ?

La critique se fonde sur moins de deux phrases de l’éditorial de notre bulletin de janvier. Le seul autre texte utilisé est une traduction grossière d’une réponse de la CC du GN au camarade Walter Daum de la LRP (qui avait inventé lui aussi une règle permettant de ne jamais voter pour un parti réformiste), sans que le camarade Antonio ne donne son opinion sur cette discussion (alors que la LSI discute avec le Collectif et la LRP).

Ainsi, la contribution du camarade Antonio ne prend en compte ni l’attitude du groupe français face à la précédente consultation électorale (le référendum de 2005 pour lequel le Groupe bolchevik appelait à l’abstention), ni la résolution de sa conférence de 2006 (qui examine justement la question des partis ouvriers bourgeois), ni l’éditorial suivant, de mars 2007. Pourtant, cela aurait évité de prêter au Groupe bolchevik une analyse qui n’est pas la sienne, à savoir qu’un parti ouvrier bourgeois est un parti qui a des voix de travailleurs.

Je pense qu’il est intéressant, pour les camarades de la LSI, de connaître les arguments du GB, comme le passage qui précède la citation :

Le PS défend « la France » depuis 1914 et le PCF depuis 1934. Ils ne mobilisent plus depuis les travailleurs, mais ils s’adressent aux « citoyens », aux « Français ». Pourtant, les travailleurs se tournent périodiquement vers eux, comme ils essaient de se servir des syndicats malgré la corruption de leurs appareils dirigeants. Ils le feront tant qu’ils ne disposeront pas de formes d’organisation supérieures, à savoir des conseils ouvriers et un parti ouvrier révolutionnaire.

Donc, le prolétariat et une partie de la jeunesse tenteront d’utiliser les urnes pour réaliser ce que les directions syndicales, le PS, le PCF, leurs adjoints de LO et de la LCR les ont empêchés de faire par la lutte de classe depuis le premier tour de l’élection présidentielle de 2002. Au printemps 2007, des millions de travailleuses et de travailleurs voteront à l’élection présidentielle (puis aux élections législatives) pour balayer Sarkozy, Villepin, Chirac (et aussi contrer les autres candidats bourgeois Le Pen, de Villiers, Bayrou, Voynet…). Il est probable que, par souci d’efficacité électorale, le vote des ouvriers et des employés profitera au PS, plus qu’au PCF, à la LCR et à LO, sans qu’il y ait pour autant beaucoup d’illusions envers Royal et le PS.

…et le paragraphe qui suit :

Pour autant, dans le cadre de l’État bourgeois et du mode de production capitaliste, aucune élection ne résoudra les problèmes décisifs de la classe ouvrière et de l’humanité : racisme, chômage, pauvreté, guerres, crises économiques, environnement… Il faudra une tout autre politique que les unions de la gauche-fronts populaires et que la collaboration avec la bourgeoisie, à savoir l’expropriation du capital et la révolution. Il faudra une démocratie bien supérieure à celle de la 5e République gaulliste, c’est-à-dire celle des conseils ouvriers. Il faudra agir à une autre échelle que les étroites frontières de la France, celle des États-Unis socialistes d’Europe et de la fédération socialiste mondiale. (« Pour se débarrasser de Sarkozy et de Le Pen, il faut rompre avec la bourgeoisie et ouvrir la voie du gouvernement ouvrier et du socialisme », Révolution Socialiste n° 22, p. 5)

Le camarade Antonio ignorait peut-être l’existence de la résolution de la précédente conférence du Groupe Bolchevik (Construire un nouveau parti communiste et internationaliste pour résoudre la crise du mouvement ouvrier par la délimitation des révolutionnaires et par la politique du front unique, 29 octobre 2006) ; en tout cas, il connaissait le numéro suivant de notre bulletin qui précisait la position du groupe à la veille de l’élection présidentielle de mai 2007 et des élections législatives de juin 2007 :

…S’il y avait dans ce pays un parti ouvrier révolutionnaire, il présenterait des candidats aux élections législatives et à l’élection présidentielle pour défendre le programme communiste devant des millions de travailleuses et de travailleurs. Si une organisation défendait les revendications ouvrières, le renversement de l’Etat bourgeois et l’expropriation des grands groupes capitalistes, le Groupe bolchevik lui apporterait son soutien.

Aucun parti ouvrier ne mène de campagne sur ce terrain. Il en résulte une aggravation de la confusion politique qui pèse sur la classe ouvrière. Dans ces conditions, le Groupe bolchevik ne peut soutenir aucune candidature. Néanmoins, il appelle les travailleuses et les travailleurs qui peuvent et qui désirent voter à choisir, lors des premiers tours, une candidate ou un candidat d’une organisation issue de la classe ouvrière (PS, PCF, LCR, LO) contre tous les candidats bourgeois. Pour les mêmes raisons, le Groupe bolchevik appelle, si une candidate (ou un candidat) d’une organisation ouvrière reste au second tour, à lui apporter son vote, sinon à s’abstenir.

Cette attitude découle de toute la tradition marxiste, qui comprend que la classe ouvrière doit s’opposer à l’ennemi de classe en toute circonstance. Mais l’histoire contemporaine a aussi montré que rien d’essentiel ne change par les urnes. Quand le résultat lui agrée, la bourgeoisie invoque la démocratie pour légitimer l’exploitation et l’oppression ; quand le résultat lui déplaît, elle défend malgré tout ses privilèges par tous les moyens, du chantage au coup d’Etat. Par conséquent, si la lutte pour le front uni de classe inclut un aspect électoral, elle se déroule au premier chef dans les lieux de formation et de travail, dans la rue et dans les quartiers populaires…

Le prolétariat a la capacité de bloquer toutes les attaques dont il est la cible, car il produit la quasi-totalité des richesses sociales et il est de plus la classe sociale la plus nombreuse aujourd’hui. S’il est décidé à affronter la minorité capitaliste, il ralliera une grande partie des autres travailleurs et la majorité de la jeunesse et il sera en mesure de vaincre les corps de mercenaires de la bourgeoisie, d’instaurer une véritable démocratie sur le modèle de la Commune de Paris ou des soviets de 1917. Le gouvernement des travailleurs qui en sera issu ouvrira la perspective des États-Unis socialistes d’Europe et de la fédération socialiste mondiale.

Pour cela, il faut aux travailleurs les plus résolus se regrouper sous le drapeau rouge, renouer avec le marxisme, mettre sur pied, au sein des luttes elles-mêmes et par la délimitation la plus stricte envers la collaboration de classes et le chauvinisme, un nouveau parti ouvrier, vraiment socialiste, vraiment communiste, donc révolutionnaire et internationaliste. (« Pour enrayer l’offensive de la bourgeoisie, il faudra autre chose que des bulletins de vote », Révolution Socialiste n° 23, avril 2008, p. 7-8)

Même la citation choisie par le camarade Antonio prouve que la consigne du GB n’était pas le vote pour le PS :

Les bolcheviks ne s’opposent pas à l’expression, aussi déformée et limitée soit-elle, de la lutte entre les classes au cours des élections. Au premier comme au second, à la présidentielle comme aux législatives, les voix des travailleuses et des travailleurs ne peuvent aller qu’aux partis et organisations ouvrières (PS, PCF, LO, LCR), jamais aux candidats de formations bourgeoises. (« Pour se débarrasser de Sarkozy et de Le Pen, il faut rompre avec la bourgeoisie et ouvrir la voie du gouvernement ouvrier et du socialisme », Révolution Socialiste n° 22, p. 5)

Clairement, il s’agissait d’un vote pour quatre formations : le Parti socialiste, le Parti communiste français, Lutte ouvrière ou la Ligue communiste révolutionnaire au premier tour de l’élection présidentielle du 22 avril 2007 ; puis pour le/la candidate qui, parmi eux, figurerait au second tour de l’élection présidentielle du 8 mai. Il s’agissait aussi d’un vote PS, PCF, LO ou LCR lors du premier tour des élections législatives du 10 juin 2007 et, quand il y a un second tour dans la circonscription, pour celui/celle d’entre eux éventuellement présent/e aux élections législatives le 17 juin.

Pourquoi le camarade Antonio ne reproche pas au Groupe bolchevik le vote pour le PCF ? En fonction de sa définition, le PCF est désormais un simple parti bourgeois :

Parmi les communistes qui exercent une activité professionnelle, le poids des ouvriers s’amenuise : ils représentaient 45 ,5 % des adhérents en 1979, ils ne sont plus que 31,3 % en 1997. (Fabienne Greffet, « Le PCF », Pierre Bréchon, Les Partis politiques français, La Documentation française, 2005, p. 136)

Le camarade Antonio ne traite pas de la véritable consigne du GB. Il la transforme en vote PS, sans jamais se prononcer sur les autres candidatures, de sorte que les militants du Groupe bolchevik ignorent s’il fallait, au premier tour, s’abstenir, voter PCF, voter PCF-LO-LCR ou voter LO-LCR…

  • Au départ, un définition aussi simple que fausse

L’analyse du camarade Antonio part de choses qui existeraient en elles-mêmes, sans relation entre elles, du type : A est A. Il croit disposer ainsi de classifications simples et définitives (« parti ouvrier bourgeois », « situation prérévolutionnaire », « parti de toute la classe ouvrière organisée », « front unique », « gouvernement ouvrier », « élections », « propagande »…).

Nous insistons sur ce qui nous paraît central : nous ne considérons pas que le PS soit un parti ouvrier. (« Sur la caractérisation du PS et les tactiques électorales », Chronique du GB vol. 7, n° 1, p. 6)

Ensuite, le texte applique ces définitions pour déterminer des tactiques tout aussi atemporelles. Ainsi, si le phénomène a appartient au type A et si le phénomène b appartient au type B, alors a relève pas de B (voir la leçon de tactique I, ci-dessous) ; si A réunit les caractéristiques Z et Y, et si b ne relève ni de Z ni de Y, b n’appartient pas à A (voir la leçon de tactique III, ci-dessous) ; etc.

Voici quatre exemples :

Les définitions correctes permettent de comprendre ce qu’est une élection.

Le front unique est pour l’action.

Les élections sont pour la propagande.

Conclusion : le front unique ne s’applique pas aux élections.

Nous, nous croyons qu’elle n’est en aucune façon une tactique pour les élections ou alors seulement dans certaines circonstances très particulières. La politique du front unique, est une politique pour l’action, et non pas pour la propagande ni – par conséquent – pour les élections. (« Sur la caractérisation du PS et les tactiques électorales », Chronique du GB vol. 7, n° 1, p. 3)

Par la négative, on peut prouver que toute autre définition du parti ouvrier bourgeois est fausse.

Comme le péronisme a un électorat ouvrier,

Si le PS était un parti ouvrier à cause de son soutien électoral,

Alors, il faudrait voter en Argentine pour le PJ.

Vous caractérisez le PS comme un parti « ouvrier-bourgeois » et vous dites qu’un grand pourcentage d’ouvriers votera pour lui. Cependant cela ne suffit pas a caractériser un parti, sinon nous devrions considérer que le péronisme en Argentine, ou le parti de Chavez sont des partis ouvriers. (« Sur la caractérisation du PS et les tactiques électorales », Chronique du GB vol. 7, n° 1, p. 2)

La méthode débouche sur une recette infaillible pour les élections.

  1. Il faut réunir deux conditions pour soutenir un parti bourgeois (sic) lors d’élections : une situation révolutionnaire ou au moins prérévolutionnaire, le parti bourgeois en question doit avoir une composition ouvrière.

Les conditions pour la tactique du « soutien critique » sont donc la composition ouvrière du parti bourgeois-libéral-réformiste, une situation au minimum prérévolutionnaire et des rapports de forces entre la bourgeoisie et le parti ouvrier tels qu’ils mettent la question du gouvernement ouvrier à l’ordre du jour. (« Sur la caractérisation du PS et les tactiques électorales », Chronique du GB vol. 7, n° 1, p. 5)

  1. Le PS n’a pas de composition ouvrière.

Le Parti socialiste n’est pas un parti ouvrier… par sa composition sociale. (p. 2)

  1. Conclusion : il ne faut pas voter pour le PS.

Dans ce sens, nous estimons que vous commettez une erreur en caractérisant le PS comme un parti ouvrier, en le présentant comme tel aux travailleurs français et en prétendant que le vote pour le PS est un vote de classe contre la bourgeoisie. (« Sur la caractérisation du PS et les tactiques électorales », Chronique du GB vol. 7, n° 1, p. 2)

Procéder autrement n’est pas conforme à la logique.

  • Appuyer un parti ouvrier bourgeois lors d’élections a pour but que les ouvriers fassent l’expérience de ce parti au pouvoir.
  • Seul le PS peut accéder au pouvoir (cette prémisse est implicite dans le texte).
  • Conclusion : si le PS était un parti ouvrier bourgeois, il faudrait appeler à voter seulement pour le PS.

Votre tactique, est par ailleurs incohérente, parce que, si vous caractérisez le PS comme un parti ouvrier-bourgeois (et que vous utilisez la tactique de Lénine avec le Parti travailliste anglais par analogie), vous auriez dû appeler à voter exclusivement pour Royal et non pour tous les partis « ouvriers » sans distinction, afin que les ouvriers fassent l’expérience de leurs dirigeants PS au pouvoir. (« Sur la caractérisation du PS et les tactiques électorales », Chronique du GB vol. 7, n° 1, p. 5)

Même en restant dans le cadre de la logique formelle, la contribution resterait critiquable, par exemple, sur la « situation prérévolutionnaire », la « propagande », la « tactique d’application permanente ».

Le camarade Antonio ne voit pas l’incohérence des ses deux conditions de la leçon de tactique III ci-dessus avec la suggestion de Trotsky au SWP de soutenir la candidature du PCUS contre les partis bourgeois, lors de l’élection présidentielle de 1940 aux Etats-Unis (p. 5). Il est douteux que le PCUS comportât une majorité d’ouvriers ; il est sûr que la conjoncture n’était pas prérévolutionnaire.

Dans la leçon de tactique II ci-dessus, le camarade pose que les élections sont de la « propagande » (prémisse 2) en oubliant que les élections sont peut-être de la « propagande » pour l’organisation communiste, mais pas pour la majorité de la classe ouvrière et des masses semi-prolétariennes. En effet, le problème est que la plupart des travailleurs croient, à cette étape, que les élections permettent de les représenter et d’influencer l’État. Pour eux, le vote est une forme d’action (prémisse 1), et non de propagande (prémisse 2). C’est cela qui oblige l’organisation communiste à y participer le plus souvent, c’est la tactique habituelle dans de telles occasions, même si le camarade dit qu’une tactique ne peut être d’application permanente (p.5).

D’une certaine manière, sa remarque ne s’applique pas à l’élection présidentielle et aux élections législatives qui ont, normalement, lieu en France tous les cinq ans, car une consigne qui apparaît tous les 5 ans ne peut pas être qualifiée de permanente. Pour autant, il n’y a pas une tactique unique face aux élections ; à mon avis, l’organisation communiste n’appelle pas à voter pour un autre parti lors des situations suivantes :

l’organisation communiste doit boycotter le scrutin dans certaines situations (révolutionnaires) ;

l’organisation communiste n’appelle pas à voter pour les candidats réformistes concurrents quand elle présente elle-même un/e candidat/e ;

l’organisation communiste qui ne présente pas de candidat/e appelle à l’abstention s’il n’y a pas de candidatures d’organisations ouvrières ;

l’organisation communiste ne doit pas appeler à voter pour des candidatures réformistes quand celles-ci sont manifestement marginales dans la classe ouvrière ;

l’organisation communiste doit choisir l’abstention quand il s’agit de listes qui comportent des candidats bourgeois (cas de la plupart des listes soutenues par le PS et le PCF aux élections municipales en France) ;

quand l’organisation communiste pratique l’entrisme, elle est contrainte d’appeler à voter pour les candidats du parti dans lequel elle intervient…

Par contre, selon la leçon de tactique III ci-dessus, la tactique électorale du camarade est, de fait, un boycott quasi-total car les cas de partis à composition majoritairement ouvrière présentant des candidats dans des situations prérévolutionnaires ou révolutionnaires sont exceptionnels. L’abstention semble devenir une « tactique d’application permanente », puisqu’elle concerne 95 % des élections et 95 % des partis.

  • En chemin, quelques impasses politiques

Le camarade Antonio se base sur sa définition du parti ouvrier bourgeois :

Un parti avec un programme réformiste (c’est à dire bourgeois), mais avec une base majoritairement ouvrière, est un parti « ouvrier-bourgeois ». (« Sur la caractérisation du PS et les tactiques électorales », Chronique du GB vol. 7, n° 1, p. 2)

Donc, un parti avec un programme réformiste est un parti bourgeois (tout court) :

PartiProgramme réformisteComposition ouvrièreParti ouvrier bourgeoisComposition non ouvrièreParti bourgeois

Selon la même méthode, faut-il supposer qu’un parti réformiste est un parti qui fait des réformes et qu’un État ouvrier est un État forcément dirigé par les ouvriers ? Vouloir réduire une contradiction à un seul aspect de la réalité a conduit la LRP, et bien d’autres avant elle, à analyser l’URSS des années 1930 comme une société capitaliste. Pour en rester à la définition du « parti ouvrier bourgeois » selon le camarade Antonio, elle soulève bien des difficultés :

Le réformisme a-t-il un sens en dehors du mouvement ouvrier ? Est-ce qu’il existe des partis bourgeois avec un programme « réformiste » ?

Qu’est-ce qu’il appelle une base «ouvrière » ? Quelle est sa définition de la classe ouvrière ?

Qu’est-ce que la « majorité » ouvrière ? Une majorité relative (plus d’ouvriers que d’autres classes ?) ou une majorité absolue (plus de 50 % d’ouvriers) ?

Comment sait-il que « la base » est « majoritairement ouvrière » ? Comment connaît-il la composition sociale des partis ?

Ne faut-il pas tenir aussi compte de l’implantation du parti dans la classe ? Est-ce qu’un parti de 2 100 000 membres, dont un million d’ouvriers représentant 25 % de la classe ouvrière est moins ouvrier qu’un parti de 2 000 membres qui comporte 1 100 ouvriers représentant 0,3 % de la classe ouvrière ? En Argentine, le mouvement péroniste n’avait-il pas beaucoup plus d’ouvriers en 1945 ou 1950 que le GCI et le POR ?

La méthode de la contribution est superficielle et mécanique et donc se révèle inapte à rendre compte des évolutions, des changements.

La représentation ordinaire saisit la différence et la contradiction, mais pas le passage de l’un à l’autre, or c’est cela le plus important. (Vladimir Lénine, « Résumé de la Science de la logique de Hegel », 1914-15, Œuvres complètes, Progrès, t. 38, p. 135)

De là viennent de multiples confusions :

la négligence des rapports entre les classes (la bourgeoisie ne semble pas agir) ;

la transformation du contexte d’une tactique employée par Lénine ou par Trotsky (un pays donnée dans une conjoncture donnée) comme une condition indispensable au recours à cette tactique ;

un contresens fondamental (si Trotsky ou Lénine dit qu’un parti est petit-bourgeois, le camarade Antonio en déduit qu’il n’est pas un ouvrier bourgeois) ;

l’abandon de fait de la catégorie de parti ouvrier bourgeois et, par conséquent, du front unique ouvrier ;

l’oscillation entre le gauchisme et l’opportunisme.

Le camarade Antonio aboutit, sans s’en rendre compte ou sans en convenir, à ce résultat : les partis réformistes ont disparu, la catégorie de « parti ouvrier bourgeois » est caduque, elle ne sert plus à rien. En effet, le camarade Antonio ne donne aucun exemple de parti réformiste contemporain. Tous ses exemples de partis ouvriers bourgeois remontent à presque un siècle ; dorénavant, tous les partis semblent être bourgeois :

Si vous vous déterminez seulement en fonction du nombre de voix que récolte ce parti et non sur son caractère de classe vous risquez de vous trouvez sur la même position que les divers courants trotskystes (y compris le PTS) qui ont appelé à voter pour Chavez au référendum rejeté, ou que le PO qui appelle à voter pour Evo Morales contre le candidat de l’oligarchie et de l’impérialisme. Peut-être faudrait-il l’étendre au vote pour Cristina Kirchner, pour Lula, pour Tabaré et jusqu’à Bachelet ? Fallait-il appeler à voter pour le Parti travailliste de Blair-Gordon Brown et pour le PSOE de Zapatero ? (« Sur la caractérisation du PS et les tactiques électorales », Chronique du GB vol. 7, n° 1, p. 6)

La caractérisation de « courants trotskystes » est plutôt confuse pour désigner des partisans du « front unique anti-impérialiste », des « partis larges » et de « l’assemblée constituante » dans les démocraties bourgeoises. Surtout, cette liste est éclectique car elle met sur le même plan d’une part le PJ fondé par le démagogue Perón, un colonel issu de l’appareil répressif de l’État bourgeois, et d’autre part des partis construits par la classe ouvrière (PS de France, Parti travailliste en Grande-Bretagne, PT du Brésil, PS du Chili, PSOE d’Espagne…), envers qui les communistes ont préconisé la participation puis le front unique. Entre autres, le camarade supprime du mouvement ouvrier le Partido Socialista et le Partido Comunista de la Argentina.

Nous connaissons le PS d’Argentine, qui vient de gagner les élections dans la province de Santa Fé (la seconde, en terme de PIB et de nombre d’habitants, après la province de Buenos Aires), celui-ci, bien qu’il ait remporté une grande quantité de votes de travailleurs, correspond tout à fait à la caractérisation de Trotsky citée plus haut. (« Sur la caractérisation du PS et les tactiques électorales », Chronique du GB vol. 7, n° 1, p. 2)

Aujourd’hui nous croyons que le PC, au moins en Argentine, n’est pas un parti ouvrier, ni par son programme, ni par sa composition sociale, laquelle coïncide dans une large mesure avec celle du PS. (« Sur la caractérisation du PS et les tactiques électorales », Chronique du GB vol. 7, n° 1, p. 6)

Il m’est difficile de me prononcer sur la vie politique argentine. Une chose est sûre, le Parti Socialista et le Partido Comunista de la Argentina sont apparus dans un cadre mondial. Je ne sais pas si le PS a jamais eu de programme véritablement ouvrier. Ce n’était pas le cas des partis travaillistes d’Australie, de Grande-Bretagne…. Le PS de France, unifié par la 2e Internationale en 1905 et dirigé par Jaurès, n’a jamais eu de doctrine conséquente et même le SPD, officiellement marxiste mais très imprégné de lassalisme, « oubliait » la dictature du prolétariat. Le PCA n’a plus de programme ouvrier depuis longtemps à cause d’un phénomène international, la stalinisation de la 3e Internationale. À ma connaissance, la sociale-démocratie et le stalinisme ont joué un rôle d’autant plus pernicieux en Argentine qu’ils n’étaient pas des partis de la bourgeoisie, mais des partis représentant historiquement la classe ouvrière. L’alliance avec le radicalisme bourgeois (UCR) des réformistes (PS et PCA) a laissé le champ libre au nationalisme bourgeois (PJ). Plus tard, le PCA et une fraction du PS ont soutenu la dictature des militaires.

Je doute que l’influence du PRS soit vraiment supérieure à celle du PS et du PCA, car la faillite du « mouvement trotskyste », depuis 50 ans, a probablement contribué à leur survie (ainsi qu’à celle du PCR stalino-maoïste). Admettons que les partis traditionnels traîtres aient disparu de la classe ouvrière argentine, reste que la contribution du camarade ne dit pas quand cela est arrivé. Or, la date a son importance :

En1971, quelle est la composition sociale de la branche du PS dirigée par Juan Coral ? Quand le PRT (La Verdad) rejoint le PSA (avant de prendre le nom de PST en 1972), est-ce une fusion de trotskystes avec un parti bourgeois ?

En 1985, quand le MAS fait un bloc politique et électoral avec le PCA (« Frente del Pueblo », Front du Peuple), est-ce une alliance avec un parti bourgeois ?

Il me semble que c’est le contraire de la politique communiste : marcher séparément (y compris en présentant ses candidats), frapper ensemble (y compris avec les staliniens) :

Tant que le PCF existe et déploie une certaine activité, nous devon toujours en tenir compte et nous orienter dans la pratique également à partir de cette activité. Cela implique avant tout l’application du front unique… (Léon Trotsky, « Remarques sur les thèses de la LC », 8 août 1933, Œuvres t. 2, EDI, p. 71)

Aujourd’hui, il n’y aurait, selon le camarade Antonio, en Argentine, que des partis bourgeois d’un côté et les « courants trotskystes » de l’autre… auquel le PRS (La Causa Obrera) a autrefois proposé de constituer un bloc pour les élections :

Dans la période précédant les élections de 2005, en revanche, nous avons proposé un front électoral à ces organisations (PTS – MAS – PO)… (« Sur la caractérisation du PS et les tactiques électorales », Chronique du GB vol. 7, n° 1, p. 8)

Quand il discute avec Marxistischen Initiative d’Allemagne, le PRS semble oublier la leçon qu’il donne au Groupe bolchevik :

Trotsky : Mais c’est précisément dans le domaine de la propagande qu’un tel bloc est inadmissible. La propagande doit s’appuyer sur des principes clairs, sur un programme précis. Marcher séparément, frapper ensemble. Le bloc n’est créé que pour des actions pratiques de masses. Les transactions au sommet sans base de principe ne mèenent à rien, sauf à la confusion. L’idée de présenter aux élections présidentielles un candidat du front unique ouvrier est une idée fondamentalement erronée. Pourquoi un bloc PTS-MAS-PO est-il meilleur que leur séparation ? (« Sur la caractérisation du PS et les tactiques électorales », Chronique du GB vol. 7, n° 1, p. 3)

Si le PTS, le MAS et PO sont « trotskystes », il est légitime qu’ils se rassemblent, mais pas seulement pour les élections, et le PRS devrait aussi participer à cette fusion.

Si le PTS, le MAS et PO sont des centristes qui ont abandonné le programme du communisme, pourquoi semer l’illusion chez les travailleuses et les travailleurs que l’unité électorale de centristes dans une élection serait positive ?

Le « front unique des révolutionnaires », hérité du SU et de la LIT, sème une grave confusion politique chez les travailleurs car il estompe la délimitation de l’organisation communiste envers le réformisme et le centrisme, en même temps qu’il s’oppose au front unique ouvrier.

  • La 4e Internationale du temps de Trotsky a toujours considéré la sociale-démocratie comme un parti ouvrier bourgeois

Les définitions éternelles et unilatérales tournent le dos à tout progrès de la politique marxiste au fil du temps. Parmi une centaine de pages d’un ouvrage de défense de la dialectique et de démolition acharnée de ceux qui, dans l’IC, abandonnent les syndicats à leurs directions, s’abstiennent lors des élections et refusent tout accord avec les partis réformistes, le camarade Antonio a retenu la phrase suivante :

On ne saurait parler de l’exclusion des « partis capitalistes, bourgeois », puisque les partis des Scheideman et de MM. Kautsky-Crispien sont des partis démocrates petits-bourgeois… (Vladimir Lénine, La Maladie infantile du communisme, p. 106)

Le camarade Antonio oublie que, en 1920, la tactique du front unique ouvrier (et la tactique, qui répond au même problème, du soutien électoral aux réformistes) est seulement esquissée. Elle va être enrichie par l’intervention du KPD, confronté durablement à deux partis réformistes (SPD et USPD). Le mot d’ordre né en Allemagne va être généralisée par l’IC en 1921, peu après son 3e congrès. Alors, le bloc des partis ouvriers pour la lutte et, symétriquement, « l’exclusion des partis bourgeois ou des partis capitalistes », que Lénine réfutait devient précisément le mot d’ordre de l’Internationale communiste. Le 4e congrès de l’IC précise la tactique du front unique ouvrier, qu’il couronne par le mot d’ordre de gouvernement ouvrier :

À la coalition ouverte ou masquée entre bourgeoise et la sociale-démocratie, les communistes opposent le front unique de tous les ouvriers et la coalition politique et économique de tous les partis ouvriers contre le pouvoir bourgeois pour le renversement définitif de ce dernier. (« Résolution sur la tactique », 1923, Les 4 premiers congrès de l’IC, Maspero, p. 158)

À l’idée d’un « bloc des gauches », le Parti communiste doit systématiquement opposer, dans toute sa propagande quotidienne de tous les travailleurs contre la bourgeoisie. (Léon Trotsky, « Résolutions et messages de l’IC », juin 1922, Le Mouvement communiste en France, Minuit, p. 191)

Après une riche expérience de 15 années, le congrès de fondation de la 4e Internationales est encore plus clair :

L’accusation capitale que la 4e Internationale lance contre les organisations traditionnelles du prolétariat, c’est qu’elles ne veulent pas se séparer du demi-cadavre politique de la bourgeoisie. Dans ces conditions, la revendication adressée systématiquement à la vieille direction : « Rompez avec la bourgeoisie, prenez le pouvoir ! » est un instrument extrêmement important pour dévoiler le caractère traître des partis et organisations de la 2e et de la 3e Internationales, ainsi que de l’Internationale d’Amsterdam. (Léon Trotsky, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938, GB, p. 26)

Donc, la 4e Internationale s’adresse aux « organisations traditionnelles du prolétariat » affiliées à la Fédération syndicale internationale, à l’Internationale communiste et à l’Internationale socialiste (donc au PS-SFIO).

Pourtant, à cette époque, le PS-SFIO est, selon le camarade Antonio, un parti bourgeois pur et simple. C’est ce qu’il croit lire chez Trotsky (qui aurait été singulièrement incohérent comme rédacteur du programme cité ci-dessus) :

Non seulement la SFIO n’est pas un parti révolutionnaire mais même pas un parti prolétarien. Elle est petite bourgeoise, non seulement par sa politique, mais aussi par sa composition sociale. (Léon Trotsky, « Une nouvelle étape », 10 juin 1935, Œuvres, EDI, t. 5, p. 327)

Le Parti socialiste n’est pas un parti ouvrier, ni par sa politique, ni par sa composition sociale. C’est le parti des nouvelles classes moyennes, fonctionnaires, employés, etc., partiellement celui de la petite bourgeoisie et de l’aristocratie ouvrière. (Léon Trotsky, « L’étape décisive », 5 juin 1936, La France à un tournant, GB, p. 26 ou Œuvres, EDI, t. 10, p. 47)

Le camarade fonde toute sa critique sur une interprétation totalement erronée de ces deux citations :

Qu’est ce qui a donc changé depuis lors dans la direction, la politique et le programme, ou dans la base sociale du PS pour que vous le caractérisiez comme un parti ouvrier ? (« Sur la caractérisation du PS et les tactiques électorales », Chronique du GB vol. 7, n° 1, p. 2)

Selon le camarade Antonio, le PS était bourgeois en 1935. Soit nous avons fait en 1934 de l’entrisme dans un parti bourgeois, soit le PS est devenu bourgeois en 1935. Ni l’un, ni l’autre.

Il est impossible de prouver que la composition sociale s’est brusquement détériorée entre notre entrée et notre sortie de ce parti :

Aucune statistique, aucun sondage ne permet d’établir la composition socioprofessionnelle du PC et de la SFIO, ni de suivre leur évolution… (Georges Lefranc, « Le socialisme en France de 1918 à 1945 », Jacques Droz, Histoire générale du socialisme, PUF, t. 3, p. 401)

En fait, il comprenait probablement plus de prolétaires en juin 1936 dans ses rangs qu’en mars 1934, même si le PCF en a gagné bien davantage.




Le témoignage d’un bolchevik-léniniste de l’époque confirme que, en 1934, il n’y avait qu’une minorité de prolétaires dans les sections du PS :

Les militants de la Ligue communiste avaient l’impression de tomber dans un autre monde… Ils assistaient, stupéfaits, aux effets oratoires de petits-bourgeois… presque tous préoccupés d’élections municipales et de scandales locaux… (Yvan Craipeau, Le Mouvement trotskyste en France, Syros, 1971, p. 120)

Le mouvement de jeunesse sociale-démocrate, dans laquelle nous avons eu un certain succès en 1934-1935, n’avait, évidemment, pas une composition sensiblement différente.

Officiellement fortes de 11 000 membres, les Jeunesses socialistes comptaient seulement une petite minorité d’ouvriers. (Yvan Craipeau, Le Mouvement trotskyste en France, Syros, 1971, p. 126)

Le PS-SFIO n’a jamais eu de base majoritairement ouvrière, pour les mêmes raisons qu’il n’a pas été un parti aussi implanté dans la classe ouvrière que le Parti travailliste ou SPD :

L’échec de la constitution d’une sociale-démocratie à l’allemande tout comme d’un trade-unionisme aboutissent à une rupture entre le parti et le syndicat… Il en résultera, non seulement l’absence de militants et de dirigeants d’origine syndicale, ce qui explique les effectifs limités, où les ouvriers et les employés seront toujours minoritaires… (Hugues Portelli, « Le Parti socialiste », Pierre Bréchon, Les Partis politiques français, La Documentation française, 2005, p. 100)

Jusqu’en 1936, il n’y avait pas de parti ouvrier de masse en France. C’est le PCF qui va jouer ce rôle, accompli avant la première guerre mondiale dans d’autres pays par le travaillisme et la sociale-démocratie.

Au moment où les bolcheviks-léninistes militaient dans la SFIO, Trotsky remarquait :

La SFIO est dans une certaine mesure une organisation petite-bourgeoise, non seulement à cause de sa tendance dirigeante, mais de sa composition sociale… Le Parti ouvrier belge au contraire englobe la classe ouvrière… (Léon Trotsky, « Il faut entrer dans les JGS », 1er novembre 1934, Œuvres, EDI, t. 4, p. 240)

Les citations dont fait grand cas le camarade Antonio ne mettent pas en cause la nature de parti ouvrier bourgeois de la SFIO, car elles poursuivent un autre but. Trotsky argumente en juin 1935 contre la prolongation de l’entrisme (qui tente encore la plus grande partie du GBL) et en juin 1936 contre la tentation de l’opportunisme envers la gauche du PS, la GR de Marceau-Pivert et Guérin (que manifeste surtout la fraction Molinier et Frank).

À aucun moment, le camarade Antonio ne considère la sociale-démocratie comme un courant international. Pourtant, le « tournant français » a été généralisé. En 1935, le SI de la Ligue communiste internationaliste conseille l’entrée des bolcheviks-léninistes dans le POB en Belgique (ce que le camarade mentionne) et dans le SP aux Etats-Unis (dont la composition n’est pas « majoritairement ouvrière »). En 1936, il préconise l’entrée dans le Parti travailliste en Grande-Bretagne et dans le PSOE en Espagne (dont la composition n’est probablement pas « majoritairement ouvrière »).

Le cadre d’analyse de la contribution du camarade Antonio est purement national (y a-t-il suffisamment d’ouvriers dans tel parti ?) et donc très éloigné de celui du programme de transition adopté en 1938 :

La 4e Internationale déclare une guerre implacable aux bureaucrates de la 2e et de la 3e Internationales, de l’Internationale d’Amsterdam et de l’Internationale anarcho-syndicaliste, de même qu’à leurs satellites centristes; au réformisme sans réformes, à la démocratie alliée à la Guépéou, au pacifisme sans paix, à l’anarchisme au service de la bourgeoisie, aux « révolutionnaires » qui craignent mortellement la révolution. Toutes ces organisations ne sont pas le gage de l’avenir, mais des survivances pourrissantes du passé. L’époque des guerres et des révolutions les réduira à néant. (Léon Trotsky, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938, GB, p. 26)

Il est clair, dans cette énumération des courants du mouvement ouvrier, que la sociale-démocratie (2e Internationale) est mise sur le même plan que le stalinisme (3e Internationale) et qu’il faut en détruire l’influence dans la classe ouvrière pour assurer la révolution socialiste mondiale. Le manifeste de la conférence d’alarme de 1940 confirme qu’il s’agit de « bureaucraties ouvrières » et non de simples partis bourgeois :

« L’unanimité » actuelle de la 2e Internationale s’explique par le fait que toutes ses sections espèrent que les Alliés vont sauver leurs postes et leurs revenus dans la bureaucratie ouvrière des pays démocratiques et restaurer ces postes et ces revenus dans les pays totalitaires. (Léon Trotsky, La Guerre impérialiste et la révolution prolétarienne mondiale, 1940, GB, p. 27)

Tant les écrits de Trotsky sur la France que les documents programmatiques de la 4e Internationale considèrent le PS-SFIO et les autres partis de la 2e Internationale, comme des partis ouvriers bourgeois, des partis réformistes.

  • La section française de la 4e Internationale a toujours appelé à voter pour le PCF et le PS, quand elle ne présentait pas de candidatures révolutionnaires

Une citation que fait le camarade Antonio lui-même (p. 4) prouve que Trotsky considérait le PS et le PCF, en juin 1936, comme des partis ouvriers bourgeois :

Si des candidatures ouvrières révolutionnaires avaient été présentées au second tour dans toutes les circonscriptions où socialistes et communistes se sont désistés pour des radicaux, elles auraient recueilli un grand nombre de voix. Malheureusement, il ne s’est pas trouvé d’organisation capable d’une telle initiative. Cela montre que les groupes révolutionnaires centraux demeurent en dehors de la dynamique des événements et préfèrent s’abstenir et s’esquiver là où il faudrait agir. (« L’étape décisive », 5 juin 1936, La France à un tournant, GB, p. 27 ou Œuvres, EDI, t. 10, p. 48)

La phrase qui précède la citation aide à comprendre ce que Trotsky veut dire :

Même dans ces conditions, les masses ont su montrer qu’elles veulent, non une alliance avec les radicaux, mais le rassemblement des travailleurs contre toute la bourgeoisie.

Ainsi qu’une autre qui se trouve entre les deux citations par le camarade Antonio de cet article de La Lutte Ouvrière :

Si socialistes et communistes avaient mené une politique de classe, c’est-à-dire s’ils avaient lutté pour l’alliance des ouvriers et des éléments semi-prolétariens de la ville et du village, contre la bourgeoisie dans son ensemble, y compris son aile radicale pourrie, ils auraient eu infiniment plus de voix… (Léon Trotsky, « L’étape décisive », 5 juin 1936, La France à un tournant, GB, p. 27 ou Œuvres, EDI, t. 10, p. 48)

Si Trotsky explique dans ce que le PS-SFIO et le PCF-SFIC auraient dû faire, c’est qu’il les considère tous les deux comme des composantes du mouvement ouvrier, qu’il oppose à la bourgeoisie y compris à son aile gauche, le Parti radical « pourri ». Le camarade Antonio oppose totalement élections et front unique. Pour Trotsky, lors des élections aussi, les masses veulent « le rassemblement des travailleurs contre toute la bourgeoisie ».

Ce que prouve la citation complète est que, face au « Front populaire », Trotsky préconise une tactique qui distingue le PS et le PCF du Parti radical, qui oppose les deux grands partis ouvriers à tous les partis de la bourgeoisie : au premier tour, le 26 avril 1936, quand c’est possible, des « candidatures ouvrières révolutionnaires » ; dans les circonscriptions où il y a un second tour, le 3 mai 1936, maintenir ces« candidatures ouvrières révolutionnaires » contre les « radicaux » quand les « socialistes » et les « communistes » se sont désistés pour les « radicaux ».

Les élections françaises reposaient (et reposent toujours) sur un « scrutin uninominal majoritaire à deux tours ». Le principe est le même qu’en Argentine, quoiqu’avec des modalités différentes. Les électeurs (en 1936, seuls les hommes votaient) choisissent au premier tour un candidat parmi plusieurs. Si un candidat recueille la majorité absolue (plus de 50 % des suffrages exprimés), il est élu. Sinon, un second tour permet de choisir parmi les candidats qui restent en compétition. Celui qui obtient la majorité relative (le plus de voix) est élu. Aujourd’hui, il faut, pour avoir le droit de se maintenir, avoir eu au moins 12,5 % des voix du premier tour.

En pratique, les deux groupes qui se réclamaient de la 4e Internationale ont présenté au premier tour plusieurs candidats et ont appelé ailleurs à voter PS ou PCF. Au second tour, quand les partis ouvriers bourgeois maintenaient leur candidat, le candidat révolutionnaire s’est désisté pour le PCF-SFIC ou le PS-SFIO. Quand ils se désistaient pour le Parti radical, là où c’était possible, ces candidatures étaient maintenues contre le Parti radical :

Les Groupe bolchevik-léniniste a tenu quelque 80 réunions, mais il n’a recueilli que quelques centaines de voix… seul Fred Zeller a obtenu 170 voix à Saint-Denis. Les résultats du PCI sont du même ordre… Au deuxième tout seulement, il a obtenu un relatif succès à Puteaux (600 voix) et dans le 18e arrondissement de Paris (180 voix), en se maintenant comme seul candidat ouvrier contre les radicaux Barthelemy et Sellier en faveur de qui le Parti communiste s’est désisté. (Yvan Craipeau, Le Mouvement trotskyste en France, Syros, 1971, p. 157)

Jamais Trotsky ne critique le vote pour le PS ou le PCF. Ce n’est pas par ignorance de la tactique partagée par le GBL (le groupe qu’il soutient) et par le PCI de Molinier et Frank (le groupe qu’il critique violemment), car, de 1934 à 1936, Trotsky suit attentivement la lutte des classes en France ainsi que les affaires de la section française.

  • La destruction de la 4e Internationale a découlé de l’adaptation de sa direction au stalinisme

Début 1936, le GBL (La Vérité) est affaibli par la scission de la fraction Molinier et Frank qui vient de proclamer le PCI (La Commune). À la veille de la grève générale, les deux groupes se réunifient en constituant le Parti ouvrier internationaliste (La Lutte Ouvrière) avant que les moliniéristes scissionnent à nouveau. En 1939, le SI de la 4e Internationale enjoint au POI de rejoindre le PSOP. Celui-ci a été proclamé par la GR, après son expulsion en 1938 du PS-SFIO. Mais si le PS est un parti bourgeois, quelle est la nature du PSOP qui en provient et auquel les bolcheviks-léninistes doivent adhérer, selon la 4e Internationale ?

Le PSOP et le « Bureau de Londres » se désintègrent à l’ouverture de la Deuxième guerre mondiale ; Pivert et la majorité de ses membres rejoignent la SFIO après la guerre. Les trotskystes clandestins se sont réunifiés durant l’occupation allemande, sous l’impulsion de Michel Pablo, et ont pris le nom de Parti communiste internationaliste (La Vérité). En 1945, sont convoquées les premières élections législatives depuis 1936. Le PCI présente des candidatures révolutionnaires dans quelques circonscriptions ; ailleurs, il appelle à voter PS ou PCF.

Le PS obtient 26,16 % des voix, le PS 24,16 %contre 24,6 % au MRP. Pour la première fois, socialistes et communistes disposent de la majorité au parlement, mais ils s’empressent de reconduire le gouvernement tripartite (PCF-PS-MRP)… (Yvan Craipeau, La Libération confisquée, Syros, 1978, p. 132)

Le PCI utilise le résultat des élections à l’assemblée constituante pour réclamer l’expulsion des ministres MRP et un gouvernement des seules organisations ouvrières :

Les partis bourgeois étaient écrasés. Le PCI lançait le mot d’ordre de gouvernement PS-PC-CGT. (Michel Lequenne, Le Trotskisme, une histoire sans fard, Syllepses, 2005, p. 132)

À ma connaissance, personne dans la 4e Internationale ne met en cause leur tactique électorale et leur mot d’ordre de gouvernement, qui sont évidemment liés. Au même moment, la Jeunesse socialiste est attirée par le trotskysme. C’est assez curieux pour l’organisation de jeunesse d’un parti bourgeois.

La 4e Internationale du temps de Trotsky considérait le stalinisme et la sociale-démocratie comme des jumeaux politiques. Mais, quelques années plus tard, la direction de la 4e Internationale révise cette analyse. Le SI de la 4e Internationale, installé à Paris, capitule en 1951 devant le stalinisme, au faîte de sa puissance en Europe et reprend, en Amérique latine, la politique stalinienne d’alignement sur le nationalisme petit-bourgeois. C’est l’époque où le POR d’Argentine s’adapte au péronisme au point de rejoindre le mouvement justicialiste en 1955 et de se placer « sous la discipline du général Perón ».

À partir du moment où l’ennemi principal n’était plus l’impérialisme anglais, nous nous sommes considérés de fait comme une partie du front unique anti-yankee qu’était le péronisme… (Ernesto Gonzales, Qué fue et qué es el peronismo, Pluma, 1974, p. 82)

Au lieu de la politique prolétarienne de construction du parti révolutionnaire, de la lutte contre les directions traîtres et du front unique ouvrier, le « trotskysme » mondial devient un courant petit-bourgeois pro-stalinien, qui veut aider la bureaucratie du Kremlin à se réformer et pousser les partis staliniens et les démagogues nationalistes à mener la révolution.

Au lieu de s’en tenir à la construction, par tous les moyens tactiques convenables, de partis révolutionnaires indépendants, Pablo considère que la bureaucratie stalinienne, ou une fraction décisive de celle-ci, est apte à se modifier sous la pression des masses jusqu’à accepter les « idées » et le « programme » du trotskysme… (James Cannon, « Lettre ouverte aux trotskystes du monde entier », 1953, La Vérité n° 583, p. 247)

Depuis, le « trotskysme » français est l’ombre portée du PCF, une mouvance crypto-stalinienne, profondément imprégnée de stalinisme. Pas seulement la minorité pabliste du PCI et ses successeurs LC-LCR, puisque le groupe français de Barta qui avait scissionné du POI et de la 4e Internationale en 1939 engendre à son tour, dans les années 1960 un courant pro-stalinien autour de Hardy (VO-LO). Il s’y ajoute la création en 19XX, par scission de la LCR, d’un groupe lié à la SL des Etats-Unis, autrefois membre du CI et devenue aussi pro stalinienne dans les années 1970. Les robertsonistes (LTF, GI), les hardystes (LO) et tous les héritiers du pablisme, variante Mandel (JCR-LC-LCR), variante Moreno (GLC, GSI), variante Grant (GR, La Riposte), ont en commun de faire passer le PCF comme « le » parti ouvrier et le PS comme un parti bourgeois… En 1972, la LC veut pousser à gauche le front populaire « Union de la gauche » (PS-PCF-MRG…). En 1977, la LCR, LO et la LTF soutiennent la campagne du PCF contre le PS. En 1981, la LCR au lieu de se prononcer pour un gouvernement excluant les ministres bourgeois, réclame qu’il y ait des ministres PCF dans le gouvernement de front populaire de Mitterrand. La LCR et LO votent pour les candidats radicaux bourgeois (MRG) au second tour des législatives de 1981. En 2005, LO, LCR, PT, LTF, GLC, GSI, CRI… appellent à voter non au référendum, à la suite du PCF social-chauvin et, ensuite, appellent le PCF à rompre… avec le PS.

Le candidat trotskiste parle à nouveau d’union. « Il faut rassembler sans sectarisme les forces anticapitalistes de ce pays », a déclaré Olivier Besancenot lors d’un meeting devant un millier de personnes à Rezé, en Loire-Atlantique, près de Nantes… Cette union de la « gauche radicale », qui serait « indépendante du PS », doit « durer et ne pas péter à la première échéance électorale venue », a-t-il dit. (L’Express, 28 mars 2007)

Si le PT-POI est une composante de l’appareil syndical anticommuniste de FO, la LCR-NPA et LO s’intègrent de plus en plus aux bureaucraties syndicales issues du stalinisme de la CGT et de la FSU. Les prétendus trotskystes de LO, de la LCR et du PT se retrouvent avec le PS, le PCF et les bureaucraties syndicales pour s’opposer à la grève générale et soutenir les « journées d’action » qui divisent le prolétariat, dispersent l’énergie des mases et protègent les gouvernements bourgeois.

Dans les manifestations, les grèves, les assemblées générales, les militants du GB sont confrontés à l’action contre-révolutionnaire du PS, du PCF, de LO, de la LCR, jamais à l’UMP, au MoDem, au PRG… Cela illustre que le PS et le PCF restent des « partis ouvriers bourgeois » et qu’il est vain de s’illusionner sur le « mouvement trotskyste » ou la « reconstruction » d’une 4e Internationale détruite en 1952 et dont aucune section ne subsiste comme organisation communiste.

  • Les illusions récurrentes des épigones dans la liquidation spontanée de la sociale-démocratie

La section française de la 4e Internationale (PCI) avait résisté au révisionnisme pabliste sous la conduite de Marcel Bleibtreu, mais elle était restée isolée et avait exclue en 1952 de la 4e Internationale. En 1953, elle avait participé à la fondation du Comité international avec la section américaine, la section suisse et la section britannique. Mais le CI s’est révélé incapable de rejeter le « front unique anti-impérialiste » qui conduisait à la liquidation des sections en Amérique latine, ni de mener une offensive résolue contre le SI de Pablo-Mandel. Le CI et la section française ont progressivement dégénéré. Le premier coup a été porté au CI par sa principale organisation, le SWP des Etats-Unis, qui a capitulé devant le castrisme avant de rejoindre en 1963, sur cette base, le SI pro-stalinien devenu castriste et guerillériste. Le groupe PO d’Argentine a suivi le SWP au « Secrétariat unifié », tout en formant le PRT.

Le PRT, qui existe dans les faits depuis 1963, prend ce nom au cours de son premier congrès en 1935. Il résultait du rapprochement, en 1962, de deux organisation : Palabra Obrera, groupe trotkiste rattaché à la IVe Internationale et dirigé par Nahuel Moreno, et une petite organisation populiste, le Front révolutionnaire latino-américain, dirigé par René et Roberto Santucho, anciens militants du Parti socialiste argentin. L’objectif de ce rapprochement était de réaliser un travail politique parmi les ouvriers agricoles afin d’établir ensuite des foyers de guérilla. (François Gèze et Alain Labrousse, Argentine, révolution et contre-révolutions, Seuil, 1975, p. 136)

Dès le milieu des années 1950, Lambert exclut Bleibtreu et Lequenne, malgré les protestations du Comité international. Ce qui reste de la section française n’a plus de nom d’organisation jusqu’en 1967 et publie un « journal large », Informations Ouvrières. Lambert capitule devant le nationalisme algérien (MNA) puis devant le réformisme de type social-démocrate (FO, FEN, PS). Lambert pratique la calomnie et la violence contre ses dissidents. Néanmoins, en 1972, grâce à Stéphane Just, l’OCI est la seule organisation à condamner l’Union de la gauche comme un front populaire et à y opposer le mot d’ordre de gouvernement ouvrier.

En 1981, l’adaptation à la sociale-démocratie conduit l’OCI à soutenir Mitterrand (PS) dès le premier tour au lieu de présenter un/e candidat/e. Puis, une fois Mitterrand élu, l’OCI capitule devant le gouvernement Union de la gauche. Comme LO et la LCR, elle n’avance aucune autre perspective ; comme la LCR, elle veut pousser à gauche le front populaire. La dénonciation, par Moreno de l’opportunisme de l’OCI envers le PS et le front populaire (Miguel Capa, « Le gouvernement Mitterrand… », Correspondance Internationale n° 13, octobre 1981 ; Nahuel Moreno, La Traición de la OCI, 1982) commence à ce moment-là seulement.

Pourtant, le PST n’avait pas fait mieux, quand il s’était rendu à la convocation du général Perón le 21 mars 1974, avec le parti stalinien et plusieurs partis bourgeois, et quand il a signé à l’issue de cette rencontre la « déclaration des 8 » de type front populaire. Il a fallu plusieurs mois pour que le PST renie sa signature, face à la critique de la direction du SU et de Politica Obrera d’Argentine.

Évidemment, Moreno connaissait bien l’orientation pro-PSP de Lambert durant la révolution portugaise de 1974-1975, qui n’avait pas empêché la fusion du CORQI et de la FB en 1980 (l’éphémère CI). Après la fusion, il avait aidé Lambert à obtenir la majorité du CC de l’OCI pour la consigne de vote pour le PS au premier tour de l’élection présidentielle, contre Just, qui y est mis en minorité.

En 1984, sous le nom de « ligne de la démocratie », le PCI succombe à l’étapisme social-démocrate et stalinien. Il rompt son soutien au PS (qui vient de lui voler la direction du syndicat étudiant, l’UNEF), lui nie soudain toute nature ouvrière et le traite désormais comme l’ennemi principal. Le PCI abandonne toute politique de front unique ouvrier et se dissout en faveur d’un nouveau parti : le Parti des travailleurs.

La justification est que :

La classe ouvrière n’est et les couches populaires qui l’environnent n’ont plus aujourd’hui de représentation politique. (Préambule de la charte du MPPT, décembre 1985)

Après la mort de Lambert, Gluckstein fonde un Parti ouvrier indépendant qui a deux secrétaires, Daniel Gluckstein et Gérard Schivardi. Ce dernier déclare, lors de la fondation du POI :

Il fallait créer un parti qui représente la classe ouvrière, les opprimés face aux oppresseurs. (AFP, 15 juin 2008)

Autrement dit, à part le MPPT-PT-POI, il n’y aurait plus de parti ouvrier en France. Le problème est que la classe ouvrière ne semble pas avoir compris que le PS et le PCF ne la représentent plus et que c’est le PT qui la représente. Le candidat du PT Boussel (Lambert) obtient 0,38 % des votes au premier tour de l’élection présidentielle de 1988 (le PS : 34 % soit presque cent fois plus, le PCF : 6,7 %, LO : 2 %). En 1995, le PT ne présente pas de candidat. En 2002, le candidat du PT Gluckstein obtient 0,47 % (le PS : 16 %, le PCF : 3,4 %, LO : 5,7 %, la LCR : 4,2 %). En 2007, le « candidat des maires » Schivardi soutenu par le PT obtient 0,34 % (le PS : 25,9 %, le PCF : 1,9 %, LO : 1,3 %, la LCR : 4 %).

Le courant « moréniste », à son apogée, partage cette vue superficielle, étrangère à l’IC et à la 4e Internationale. Ce que l’ex-PCI appelle en 1985 « absence de représentation », l’ex-LIT l’appelle « vide de direction » :

Les vielles directions traîtres, la bureaucratie du Kremlin et ses partis communistes à travers le monde, la sociale-démocratie de la 2e Internationale, les bureaucraties syndicales et les partis nationalistes bourgeois des pays arriérés traversent une crise totale. Les masses ne les reconnaissent déjà plus comme leur direction syndicale et politique. (« Manifeste de la LIT-QI », Courrier International, édition française, septembre 1985, p. 16)

Autrement dit, il n’y aurait plus désormais l’obstacle à la révolution des partis ouvriers bourgeois, puisqu’ils auraient perdu toute influence sur les masses : « Le vide de direction persiste. » (p. 17). Les exemples de cette prétendue disparition des directions traditionnelles que le manifeste de la LIT donne se sont vite, pour la plupart, révélés faux. Par exemple, celui du parti social-démocrate de Grande-Bretagne :

Les travailleurs britanniques font toujours moins confiance à leur vieux Parti travailliste. (« Manifeste de la LIT-QI », Courrier International, septembre 1985, p. 17)

En 1983, avant la fondation de la LIT à Buenos Aires, le Parti travailliste était certes au plus bas avec 8,4 millions de voix (27,6 % des suffrages). Mais il en obtient, en 1987, 10 millions (30,8 %) ; puis en 1992, 11,5 millions (34, 4 %) et en 1997, 13,5 millions (43,2 %), ce qui lui permet depuis de gouverner au compte de la bourgeoisie.

En réalité, la reprise de vieilles stupidités gauchistes sert de camouflage à l’opportunisme de longue date de Lambert et de Moreno.

L’opportunisme s’exprime non seulement sous l’aspect du gradualisme, mais aussi de l’impatience politique : il cherche fréquemment à récolter où rien n’a été semé… (Léon Trotsky, « Introduction », 1924, The 5 first years of the Communist International, New Park, t. 1, p. 13)

Le PCI, même s’il rompt en 1984 avec le PS, est plus que jamais lié à une bureaucratie ouvrière, celle de la confédération syndicale FO fondée lors de la « guerre froide » avec l’aide du PS, de la 4e République et de la direction de l’AFL-CIO des Etats-Unis. En 1991, le PCI s’associe au PCF pour mener une campagne pacifiste au moment de la première guerre impérialiste contre l’Irak. En 1992, Lambert et Gluckstein liquident le PCI dans un « parti large » au programme minimum, le PT. Ce PT va mener tout un temps des campagnes communes avec un parti bourgeois, le MRC.

La ligne pro-stalinienne du SU a souvent pris dans les années 1970 la forme du « front des révolutionnaires ». Le « bloc des révolutionnaires », le « pôle révolutionnaire » ou le « front des révolutionnaires » ne sont ni le front unique ouvrier qui s’adresse à tous les travailleurs, ni la construction du parti sur le programme communiste ; c’est l’illusion que l’union des centristes pourrait remplacer le parti et le front unique ouvrier. Le « front des révolutionnaires » a débouché sur une catastrophe au feu de la révolution, au Portugal, avec le FUP (un bloc de « l’extrême-gauche » avec le parti stalinien pro-Moscou) et le FUR (les mêmes sans le PCP). Tout en ayant rompu en 1979 avec le SU pabliste, la LIT garde du révisionnisme l’illusion d’une couche révolutionnaire durable indépendamment de la construction du parti, la « nouvelle avant-garde » (p. 19) et la substitution au parti révolutionnaire et au front unique ouvrier d’un bloc centriste, le « front unique révolutionnaire » (p. 23) :

Nous en appelons aux groupes, aux organisations et fronts révolutionnaires… (« Manifeste de la LIT-QI », Courrier International, septembre 1985, p. 23)

La tactique consistant à unir les révolutionnaires dans tous les pays où cela est possible, par la construction de fronts révolutionnaires, est une tactique très importante… (« Manifeste de la LIT-QI », Courrier International, septembre 1985, p. 24)

En guise de front des révolutionnaires, la plus grosse section de la LIT, le MAS d’Argentine, passe en 1985 un accord (FP, Front du peuple) avec le « péronisme ouvrier » et le parti stalinien qui avait soutenu la dictature de Videla. En 1988, le caractère de front populaire est encore plus net avec un nouvel accord avec le PCA et des partis bourgeois (IU, Gauche unie).

Le MAS et le PCI ont dépassé chacun 6 000 militants. Mais le PCI a été liquidé en 1991 par sa direction, il a laissé la place à un PT-POI, réformiste et de plus en plus social-patriote et le MAS a explosé en 1989 après avoir conclu des fronts populaires sans popularité. Ils étaient bâti sur du sable : l’illusion de la disparition du réformisme a débouché sur la disparition de l’illusion du centrisme.

  • Pour construire un parti révolutionnaire, il faudra affronter longuement et démasquer patiemment les directions traîtres au cours des luttes de classe

En dernière analyse, il n’y a que deux types de partis, en fonction de leur rapport à l’Etat bourgeois : des partis véritablement ouvriers qui s’opposent à la bourgeoisie et luttent pour son renversement ; des partis politiquement bourgeois parce qu’ils acceptent le cadre du capitalisme. Mais, dans la vie, certains partis se situent entre les organisations de la bourgeoisie et les partis révolutionnaires : soit qu’ils ne sont pas allés jusqu’au bout de l’opposition à la bourgeoisie ; soit que, nés révolutionnaires, ils ont régressé.

« Ouvrier bourgeois » est évidemment une contradiction. Ces partis sont, à la fois, ouvriers, bourgeois et petits-bourgeois. La composition sociale n’est qu’un aspect de cette réalité contradictoire. Auraient-ils disparu ? Le camarade n’en mentionne aucun. Il a pourtant dû lire la phrase suivante (puisqu’il cite ce texte de Trotsky) :

Tant que dominera le capital, la sociale-démocratie et le fascisme continueront à exister dans des combinaisons différentes. (Léon Trotsky, « La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne », 1932, Comment vaincre le fascisme, Buchet-Chastel, p. 123)

Parce qu’ils n’ont pas d’intérêts différents de leur classe, les communistes ont toujours salué l’apparition de syndicats et la création d’un parti ouvrier, quelles que soient leurs limites. Une fois devenus communistes, Marx et d’Engels se sont toujours élevés contre les sectes et ils ont joué un rôle décisif dans la 1e Internationale (AIT) qui rassemblait tous les courants du mouvement ouvrier de 1864 à 1871. Leur fraction est entrée dans le premier parti ouvrier d’Allemagne fondé en 1863 par Lassalle (ADAV) et dans le parti ouvrier de Grande-Bretagne fondé en 1881 par Hyndman (SDF), deux personnages pour lesquels Marx et Engels éprouvaient la plus grande méfiance.

Ce ne fut qu’en 1862 que Lassalle arbora de nouveau le drapeau socialiste. Mais ce n’était plus le socialisme hardi du Manifeste : ce que Lassalle demandait dans l’intérêt de la classe ouvrière, c’était la production coopérative assistée par le crédit de l’État… Le socialisme lassallien, on le voit, était bien modeste. Néanmoins, son apparition sur la scène marque le point de départ de la deuxième phase du socialisme en Allemagne, car le talent, la fougue, l’énergie indomptable de Lassalle réussirent à créer un mouvement ouvrier, auquel se rattache, par des liens positifs ou négatifs, amicaux ou hostiles, tout ce qui pendant dix ans a remué le prolétariat allemand. (Friedrich Engels, « Le Socialisme en Allemagne », 1891, Marx & Engels, Le Parti de classe, Maspero, tome 4, p. 82)

De leur temps, celui du capitalisme ascendant, Marx et Engels attribuent les insuffisances du mouvement ouvrier à son immaturité des travailleurs, à l’influence de la religion ou de l’économie politique et surtout aux liens avec les petits producteurs marchands dont le prolétariat était alors issu (proudhonisme, bakouninisme…). Mais, à la fin du 19e siècle, Engels commence à établir un lien entre l’hégémonie britannique sur le monde et les pratiques des chefs des syndicats de métier. Avec le déclin du capitalisme, la classe dominante s’efforce de prendre le contrôle des organisations fondées par la classe ouvrière, par l’intermédiaire de leurs appareils (leurs dirigeants et leurs permanents).

La bourgeoise impérialiste n’est pas un « tigre de papier », comme l’affirme le manifeste de la LIT en reprenant l’image pittoresque mais simpliste de Mao Zedong (Courrier International, p. 19) :

La bourgeoisie, bien qu’elle soit en complète contradiction avec les exigences du progrès de l’histoire, n’en reste pas moins la classe la plus puissante. Paradoxalement, on peut affirmer que la bourgeoisie atteint le maximum de ses capacités politiques, de la concentration de forces et de ressources, de moyens politiques et militaires de tromperie, de coercition et de provocation, c’est-à-dire l’épanouissement de sa stratégie de classe, au moment où elle est menacée directement du renversement social. (Léon Trotsky, « Une école de stratégie révolutionnaire », juillet 1921, The 5 first years of the Communist International, New Park, t. 2, p. 4)

Les « partis ouvriers bourgeois » sont justement une expression de la domination de la classe exploiteuse sur la classe exploitée qui se développe lors de la phase de déclin du capitalisme. Dans ce cas, cela prend la forme de la corruption et de l’intégration des organisations que les exploités ont créées au sein des sociétés capitalistes. Les appareils des syndicats et des partis deviennent des bureaucraties petites-bourgeoises qui servent d’agents à la bourgeoisie au sein de la classe ouvrière. Parler de « ouvrier-bourgeois » ou de « réformisme » n’est donc pas un compliment : ce sont des termes qui désignent des traîtres, des agents de l’ennemi au sein de notre classe.

Lors de la révolution russe de 1917, le Parti bolchevik, en général, n’use pas du terme « ouvrier bourgeois » pour le Parti socialiste révolutionnaire et le Parti menchevik, mais de « petits-bourgeois » ou de « conciliateurs ». En même temps, Lénine les situe, surtout le Parti menchevik, comme la forme locale d’un phénomène mondial, qu’il nomme parfois « partis ouvriers bourgeois », à la suite de Daniel De Leon (mort en 1914).

Les institutions politiques du capitalisme moderne la presse, le Parlement, les syndicats, les congrès, etc. ont créé à l’intention des ouvriers et des employés réformistes et patriotes, respectueux et bien sages, des privilèges et des aumônes politiques correspondant aux privilèges et aux aumônes économiques. Les sinécures lucratives et de tout repos dans un ministère ou au comité des industries de guerre, au Parlement et dans diverses commissions, dans les rédactions de « solides » journaux légaux ou dans les directions de syndicats ouvriers non moins solides et « d’obédience bourgeoise », voilà ce dont use la bourgeoisie impérialiste pour attirer et récompenser les représentants et les partisans des « partis ouvriers bourgeois ». (Vladimir Lénine, L’Impérialisme et la scission du socialisme, 1916, Œuvres, Progrès, t. 23, p. 129)

Ce terme essaie de rendre compte de la domination directe de la bourgeoisie nationale, via son Etat, sur les partis ouvriers et sur les syndicats. La trahison des principaux partis ouvriers et l’évanouissement de la 2e Internationale en 1914 justifient la création d’une nouvelle internationale ouvrière. Alors que le Parti travailliste ou le PS-SFIO n’avaient qu’une activité électorale et propagandiste, les sections de la 3e Internationale sont des partis militants.

Mais la dégénérescence de l’URSS va entraîner l’apparition d’un autre type de « parti ouvrier bourgeois », les partis staliniens et les syndicats qu’ils contrôlent, qui servent l’ordre bourgeoise par un lien indirect avec la bourgeoisie mondiale, par l’intermédiaire de la bureaucratie devenue maîtresse de l’Etat ouvrier isolé.

Dans l’Etat ouvrier dégénéré, le stalinisme se confond avec l’appareil d’Etat. Dans les pays capitalistes, la sociale-démocratie est plus intégrée à l’État bourgeois que le stalinisme, mais celui-ci joue un rôle contre-révolutionnaire plus résolu face aux mouvements des masses. Le totalitarisme en URSS et en Chine, l’écrasement des révolutions politiques d’Europe centrale, les pratiques des partis staliniens dans les pays capitalistes repoussent du communisme et contribuent à maintenir les partis sociaux-démocrates et les directions syndicales du même type.

Les anciens partis « communistes » des pays capitalistes ne sont plus à proprement parler staliniens dans le mesure où, sous la pression de la bourgeoisie mondiale, les bureaucraties au pouvoir ont détruit les États ouvriers et restauré le capitalisme. En Europe, rien ne différencie plus les derniers partis de masse issus du stalinisme de la sociale-démocratie traditionnelle… Quant aux partis uniques qui servaient de paravent à la bureaucratie, ils ont engendré toutes sortes de partis : partis bourgeois (y compris fascisants) ou partis de type social-démocrate…

En France, en 1935-1936, la jeune génération ouvrière a rejoint le PS-SFIO et surtout le PCF. En 1943-1945, la nouvelle a gonflé les rangs du PS-SFIO et encore plus ceux due PCF. Par contre, en 1968, les jeunes travailleurs méprisaient la SFIO et se méfiaient du PCF. En 1981, les illusions étaient pourtant grandes dans la victoire de Mitterrand et dans ce qui était perçu par les massas comme l’unité du PS et du PCF. Elles sont retombées, sans qu’une autre voie ait été tracée, sans qu’un parti ouvrier révolutionnaire soit construit. Dans le monde entier, ces dernières années, les directions syndicales se sont associées aux licenciements, aux baisses de salaires, aux allongements du temps de travail et les partis réformistes ont de fait attaqué les conquêtes sociales quand ils ont accédé au pouvoir, seuls ou avec des partis bourgeois. Cela a certainement distendu les liens entre les masses des pays capitalistes et les bureaucraties ouvrières. Mais elles n’ont pas disparu pour autant.

En France, l’électorat du PCF a fondu au profit du PS et de « l’extrême gauche ». Les pablistes et les hardystes avaient succombé à l’hégémonie stalinienne des années 1940-1950, mais le PCF se rétrécit et vieillit alors que le PS a survécu. D’où la paralysie de LO dont la perspective de redressement du PCF devient ridicule et l’abandon de cette stratégie par la LCR qui s’engage vers un parti « large » pour tenter d’occuper la place laissée vide par le stalinisme (NPA).

À cause de la puissance de la bourgeoisie et, contradictoirement, de la lutte du prolétariat, le rapport des bureaucraties ouvrières à la classe ouvrière varie au fil du temps. Dans ces processus, il arrive parfois que des individus, des fractions de partis ou de syndicats d’origine ouvrière et même des partis entiers, disparaissent ou rallient ouvertement la bourgeoisie. La scission des « néo-socialistes » du PS-SFIO qu’a connue Trotsky en est un exemple ; plus tard, une fraction du PS-SFIO et une fraction du PCF sont devenus carrément fascistes à la fin des années 1930. Les cas les plus récents en Europe sont la fusion d’une ancienne minorité du Parti travailliste britannique (SDP) avec le Parti libéral pour fonder les Liberal Democrats en 1988 et la fusion de l’ancienne majorité du parti stalinien d’Italie (DS) avec une fraction de l’ancien parti démocrate-chrétien (La Margherita) pour fonder le Partito Democratico en 2007.

Mais, pour l’instant, en France, le parti qui s’appelle « socialiste » depuis son origine, qui a des liens avec le syndicalisme (surtout avec l’UNEF et l’UNSA, mais aussi la CFDT et FO), qui vit des voix des travailleurs, reste un parti ouvrier bourgeois. Le PS et le PCF utilisent généralement la couleur rouge et il arrive encore aux réunions du MJS et du PCF d’entonner L’Internationale, ce que je n’ai jamais vu faire à un parti bourgeois.

Le radicalisme de la phrase ne supprime pas la réalité du réformisme. Sur le papier, les sectes peuvent supprimer toute nature ouvrière aux syndicats ou aux partis réformistes : cela n’empêche pas ces derniers de représenter, de diriger et de trahir. Les « révolutionnaires » qui les jettent aux oubliettes alors que la classe ouvrière ne l’a pas encore fait, leur rendent le plus grand service et désarment la classe ouvrière. La classe ouvrière ne se débarrassera pas des directions traîtres spontanément, mais à l’aide du parti révolutionnaire. Car la bourgeoisie a besoin d’agents au sein de la classe ouvrière quand elle ne l’écrase pas par la botte du fascisme. Au cas où les anciens « partis ouvriers bourgeois » ne pourraient plus jouer ce rôle, des candidats se proposent à la clase dominante pour les remplacer : les « partis larges » à programme minimum créés par les « trotskystes », les organisations de chômeurs et les nouveau syndicats fondés par les « trotskystes », les fronts populaires auxquels ils participent ou qu’ils forment eux-mêmes en sont la preuve.

La crise de direction de la classe ouvrière s’est considérablement aggravée avec la destruction de la 4e Internationale en 1951-53 et la restauration du capitalisme en Russie en 1991-92. Pour avancer vers la résolution de la crise de direction, dans cette situation difficile, il faut rejeter les mystifications de Lambert ou de Moreno, comme « l’absence de représentation politique »ou « le vide de direction ».

J’espère que les camarades du Brésil et d’Argentine seront rassurés sur la conformité de la politique du Groupe bolchevik à l’héritage de la 4e Internationale et qu’ils trouveront dans cette réponse matière à réflexion pour leur propre intervention.

La science veut d’abord que l’on tienne compte de l’expérience des autres pays… Elle veut, en second lieu, qu’on tienne compte de toutes les forces : groupes, partis, classes et masses agissant dans le pays au lieu de déterminer la politique uniquement d’après les désirs et opinions… (Vladimir Lénine, La Maladie infantile du communisme, le « gauchisme », avril 1920, Editions Sociales, p. 75)

La crise de direction vient du contrôle, au compte de la classe dominante, par des bureaucraties des organisations ouvrières, c’est-à-dire fondées par la classe ouvrière. Si les mots ont un sens, un parti bourgeois ne trahit pas le prolétariat ; donc, les partis bourgeois ne sont pas la cause de la « crise de la direction révolutionnaire du prolétariat » que nous avons à résoudre. Seuls le fascisme et la révolution prolétarienne suppriment cette base objective du réformisme. En France, le PCF et surtout le PS conservent la confiance de millions de travailleurs mais ne peuvent que les tromper. Dans nombre de pays d’Amérique, des partis ouvriers bourgeois anciens (Parti communiste chilien et Parti socialiste du Chili, par exemple) ou plus récents ((Partido dos Trabalhadores du Brésil, par exemple) jouent toujours un rôle funeste, à cause de la marginalité puis de la disparition de la 4e Internationale. En outre, les vieux partis sociaux-démocrates européens jouent un certain rôle en Amérique latine, au compte de l’Union européenne ; de même, les partis staliniens qui tentent de se reconvertir en partis sociaux-démocrates (PRC d’Italie, PCF de France, PDS d’Allemagne…) se sont efforcés de se rendre utiles à leur bourgeoisie à travers le Forum social mondial.

Le « front des révolutionnaires » des révisionnistes du programme et des liquidateurs de la 4e Internationale abandonne la tâche d’affronter les directions traîtresses et débouche sur l’adaptation à celles-ci. Pour résoudre la crise de direction, il faut construire un parti délimité du centrisme, qui combat le réformisme par des tactiques appropriées au lieu de nier son existence.

L’intransigeance politique et une politique souple de front unique constituent deux armes pour atteindre un sel et même but. (Léon Trotsky, « Centrisme et 4e Internationale », 1934, Œuvres t. 3, EDI, p. 239)

Si nous voulons résoudre la crise de direction révolutionnaire de la classe ouvrière, il faut liquider en pratique l’obstacle des vieux appareils et démasquer aussi les épigones de feue la 4e Internationale qui tentent de fournir à la bourgeoisie des front populaires et de nouveaux partis réformistes.

Les « partis ouvriers bourgeois », en tant que phénomène politique, se sont déjà constitués dans tous les pays capitalistes avancés, et sans une lutte décisive et implacable, sur toute la ligne, contre ces partis ou, ce qui revient au même, contre ces groupes, ces tendances, etc., il ne saurait être question ni de lutte contre l’impérialisme, ni de marxisme, ni de mouvement ouvrier socialiste. (Vladimir Lénine, L’Impérialisme et la scission du socialisme, 1916, Œuvres, Progrès, t. 23, p. 130)

Avec mon salut internationaliste,

Valentina Cohen