Manifeste pour la révolution socialiste européenne

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Une unité économique quelque peu complète de l’Europe, qui serait réalisée par en-haut, à la suite d’une entente entre gouvernements capitalistes, est une utopie. Dans cette voie l’affaire ne peut aller au-delà de compromis partiels et de demi-mesures. Par là même, l’union économique de l’Europe qui est susceptible d’apporter d’énormes avantages au producteur et au consommateur et en général à tout le développement culturel, devient la tâche révolutionnaire du prolétariat européen, dans sa lutte contre le protectionnisme impérialiste et son instrument, le militarisme. (Léon Trotsky, Le Programme de la paix, mai 1917)

L’Union européenne, un compromis bancal

L’Union européenne est née d’un compromis bancal entre un certain nombre de bourgeoisies d’Europe de l’Ouest conscientes de l’étroitesse insupportable de leurs frontières.

L’État national, après avoir donné une impulsion vigoureuse au développement capitaliste, est devenu trop étroit pour l’expansion des forces productives. (Manifeste de l’Internationale communiste, mars 1919)

Après la deuxième guerre mondiale, ces gouvernements étaient traumatisés par la catastrophe à laquelle avaient conduit les tentatives de surmonter l’archaïsme de leurs frontières par la violence impérialiste. En effet, au cours de deux conflits mondiaux qui se sont déroulés surtout sue le sol de l’Europe, le vainqueur réel fut les États-Unis capitalistes d’Amérique qui disposaient d’un marché national de taille continentale. La bourgeoisie allemande, après l’échec du 3e Reich, ne pouvait avancer ses pions que sous le masque d’un regroupement ; la bourgeoisie française, avec l’écroulement de son empire colonial, ne pesait plus guère dans les relations internationales, malgré les fanfaronnades du général De Gaulle.

L’Union européenne s’est révélé une tentative vaine d’empêcher le déclin du capitalisme européen. Pour réussir pleinement, il lui aurait fallu unifier pacifiquement l’Europe. Certes, la nécessité impérieuse des échanges de marchandises, de capitaux et de main-d’œuvre entre les économies capitalistes a poussé 22 États à rejoindre les 6 fondateurs de 1958 et 18 d’entre eux ont même réussi, pour faciliter ces échanges économiques et peser davantage dans le monde, à unifier la monnaie en 1999-2001.

Reste que leur prétendue Union est apparue trop tard, à l’époque de décadence historique du capitalisme. Les bourgeoisies européennes sont incapables de fusionner entre elles et de supprimer les frontières archaïques car chacune d’entre elles est inséparable de son État national. Celui-ci lui est indispensable pour garantir l’exploitation de son prolétariat (dont, partout, une partie est d’origine étrangère) et pour défendre ses intérêts contre les autres bourgeoisies (y compris ses voisines du continent). Par conséquent, ces puissances impérialistes restent divisées et impuissantes face à la guerre économique déclenchée par l’impérialisme américain, face aux manœuvres de l’impérialisme chinois, les frontières se multiplient dans un continent déjà émietté et la guerre y surgit de manière récurrente.

Après l’éclatement de la Yougoslavie, celui de l’Ukraine

Quand la bureaucratie stalinienne tchécoslovaque a décidé de restaurer le capitalisme en 1991, le pays a éclaté dès 1992 en deux États, intégrés à l’Union européenne (en pratique, sous influence allemande) et à l’OTAN (dirigée, de fait, par les États-Unis).

Quand la bureaucratie yougoslave a décidé de restaurer le capitalisme, les rivalités entre la bourgeoisie allemande et la bourgeoisie française ont nourri la guerre civile de 1991 à 1999 et abouti à l’éclatement entre 6 États. L’OTAN, par décision américaine et avec la participation de l’armée belge et de l’armée française, a bombardé la Serbie pour mettre fin conflit. Les rêves nationalistes ont abouti à la soumission de ces confettis soit à la Russie, soit à l’Union européenne, au prix de la destruction des infrastructures, d’un million de déplacés et de 300 000 morts.

Quand la bureaucratie russe a décidé de restaurer le capitalisme en 1991, l’URSS a éclaté. Depuis, la bourgeoisie russe dispute à la bourgeoisie américaine, allemande et française les nouveaux États capitalistes formellement indépendants mais qui sont aux mains d’oligarques incapables de développer le pays et donc d’assurer son autonomie. C’est le cas en Ukraine où les exigences de l’Union européenne signifiaient l’aggravation du sort des travailleurs, tandis que le puissant voisin russe faisait du chantage à la fourniture de gaz naturel. Les aspirations à vivre mieux et à vivre libre furent détournées, tant en 2004 qu’en 2013, par des cliques capitalistes vendues aux impérialistes allemands ou russes.

La bourgeoisie de tous les pays, ainsi que tous les partis petits-bourgeois qui acceptent l’alliance avec la bourgeoisie contre les ouvriers, se sont surtout efforcés de diviser les ouvriers des différentes nationalités, d’attiser la méfiance, de détruite l’étroite union internationale et la fraternité internationale des ouvriers. Si la bourgeoisie y parvient, la cause des ouvriers est perdue. (Vladimir Lénine, Lettre aux ouvriers et aux paysans d’Ukraine, décembre 1919)

Début 2014, l’Union européenne et les États-Unis couvrirent la participation de partis fascistes au nouveau gouvernement ukrainien. Misant sur l’absence d’armée de l’UE et sur les échecs de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan, l’armée russe occupait déjà une partie de la Moldavie et de la Géorgie, après avoir maintenu la Tchétchénie dans son territoire par la plus grande violence en 1994-96 et en 1999-2000. Poutine a incorporé en avril 2014 la Crimée à la Russie, malgré l’hostilité d’une minorité ukrainienne et d’une minorité tatare ; une guerre civile larvée continue en Ukraine entre cliques capitalistes vendues aux bourgeoisies voisines. La CIA conseille le gouvernement de Kiev qui couvre des massacres comme à Odessa. Les troupes de choc de l’armée russe, masquées, entrent sur le territoire ukrainien. Après avoir occupé la Crimée en mars, les « forces spéciales » ont aidé les milices pro-russes, qui comportent aussi des éléments fascistes, à prendre le contrôle de plusieurs villes de l’est de l’Ukraine où les opposants sont parfois liquidés physiquement. Le 25 novembre 2018, la marine russe arraisonne 3 navires ukrainiens dans le détroit entre la mer Noire et la mer d’Azov, accusés d’être entrés dans les eaux territoriales sans autorisation.

Seule, la révolution prolétarienne peut garantir aux petits peuples une existence libre, car elle libérera les forces productives de tous les pays des tenailles serrées par les États nationaux, en unissant les peuples dans une étroite collaboration économique, conformément à un plan économique commun. Seule, elle donnera aux peuples les plus faibles et les moins nombreux la possibilité d’administrer, avec une liberté et une indépendance absolue, leur culture nationale sans porter le moindre dommage à la vie économique unifiée et centralisée de l’Europe et du monde. (Manifeste de l’Internationale communiste, mars 1919)

L’Union européenne est aujourd’hui prise en tenaille

L’offensive économique déclenchée par l’impérialisme américain avive les tensions entre tous les impérialismes. Elle vise non seulement la Chine, mais de nombreux pays dans le monde et également l’Europe qui se trouve prise en étau entre l’agressivité américaine et la montée en puissance de l’impérialisme chinois. Les États-Unis menacent en effet l’Union européenne de taxes multiples sur ses exportations, aussi bien sur l’acier que les automobiles ou l’aéronautique.

Parallèlement, les entreprises et banques européennes ont été sommées de cesser toutes transactions avec l’Iran, sous peines de sanctions et d’exclusion du marché américain. Et la pression de l’impérialisme américain s’exerce encore de multiples façons, par exemple dans la menace directe de sanctions à l’encontre des entreprises européennes impliquées dans la construction du doublement du gazoduc entre la Russie et l’Allemagne.

De surcroît, la pression américaine sur la Chine y précipite un ralentissement de la croissance qui entraine en conséquence un ralentissement des exportations européennes en Chine, notamment allemandes. De son côté, l’impérialisme chinois multiplie les initiatives pour renforcer ses positions dans les pays européens.

Les grandes entreprises chinoises multiplient leurs investissements directs en rachetant tout ou partie d’entreprises ou d’infrastructures en Europe : le port du Pirée en Grèce, le fabricant de robots industriels Kuka en Allemagne, le fabricant de pneumatiques Pirelli en Italie, l’aéroport de Toulouse en France, le premier opérateur de terminaux portuaires en Espagne Noatum, la compagnie minière Rio Tinto en Grande-Bretagne, la société de pesticides et de graines Sygenta en Suisse…

La Chine privilégie les accords bilatéraux avec des investissements considérables à la clé et des prêts, aussi bien dans le cadre des « nouvelles routes de la Soie » que dans les rencontres « 16 + 1 » qu’elle a initiées avec les pays de l’Est de l’Europe dont 11 sont membres de l’Union européenne. Ainsi, des accords d’investissements chinois sont passés directement non seulement avec l’Italie, mais aussi avec la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie…

L’impasse du Brexit

En Grande-Bretagne, un conglomérat de partis ou de fractions de partis bourgeois représentant les intérêts d’une partie de la bourgeoisie britannique plus liée au reste du monde qu’à l’Europe, plus subordonnée aux États-Unis ou bien victime de la concurrence européenne a poussé au Brexit. Il l’a emporté au référendum de 2016. La campagne des partisans de la sortie a battu tous les records du chauvinisme et de la démagogie en faisant croire aux Britanniques qu’en se débarrassant des étrangers, européens ou non, et des règles de l’Union européenne, ils retrouveraient la prospérité et la grandeur passée de l’ancien empire britannique.

Mais trois ans ont passé et à mesure qu’approche l’échéance, la débandade et le chaos n’ont fait qu’amplifier. Incapable de sortir, avec ou sans accord, ou de rester, la bourgeoisie britannique marche les yeux ouverts à la catastrophe. Tout indique que la sortie de l’Union européenne entrainera une baisse significative des échanges et de la production. Déjà, des entreprises ferment ou se délocalisent dans d’autres pays européens pour conserver les avantages du marché européen.

Les États-Unis se réjouissent du Brexit car ils imposeront leurs conditions à la bourgeoisie britannique dans des négociations bilatérales. Au bout du compte, ce seront les travailleurs et les jeunes qui subiront les conséquences de la rupture. Paralysé, réduit à quémander délai sur délai pour gagner du temps, le gouvernement du Parti conservateur semble incapable d’organiser la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Le Parti travailliste reste ambigu, personne ne connait sa position sur le Brexit. Pour cette raison, les partis fascisants UKIP et Brexit Party ont le vent en poupe.

Pour les autres pays européens, le retrait de la Grande-Bretagne signifie avant tout une réduction des échanges intracommunautaires avec des conséquences inégales et plus ou moins dommageables. Et pour l’Union européenne toute entière, c’est une fragilisation considérable quand un pays de l’importance du Royaume-Uni rompt les amarres.

Les chimères du renforcement de l’Union européenne

Dans cette situation difficile, la plupart des représentants des bourgeoisies de toute l’Europe expliquent à ceux et celles qu’ils exploitent que leur salut réside dans le renforcement de l’Union européenne. La renforcer en ferait enfin une puissance économique apte à rivaliser avec les Etats-Unis et la Chine, à même de discuter d’égal à égal dans les négociations internationales. La renforcer en ferait un continent entier où l’environnement serait préservé qui pèserait d’autant plus pour imposer des normes écologiques internationales. La renforcer permettrait la croissance, les avancées sociales, la coopération entre les peuples européens et le maintien de la paix. Toutes ces affirmations sont aussi chimériques que mensongères.

Avec les tensions commerciales mondiales et le ralentissement de la croissance, les intérêts des bourgeoisies européennes sont de plus en plus divergents et c’est à grand peine qu’elles tentent d’afficher encore le visage de l’unité. Les bourgeoisies allemande et française qui sont les plus puissantes, respectivement 20 % et 14 % du PIB de l’Union, tentent d’avancer ensemble face à la Chine, mais s’opposent sur la position que l’Union européenne doit défendre face au Brexit, s’opposent sur la position que l’UE doit défendre dans les négociations avec les États-Unis, s’opposent sur les livraisons d’armes de la France à l’Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis dans la guerre qu’ils mènent au Yémen.

L’Union européenne est de plus écartelée par des alliances divergentes comme le « groupe de Visegrad » regroupant la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie et la Slovaquie ou encore le « groupe des 3 mers » lancé à l’initiative de la Pologne et rassemblant 12 pays d’Europe centrale entre la Baltique, la Méditerranée et la mer Noire. Les États-Unis utilisent les adhésions à l’Otan des pays de l’Est, comme l’Albanie, la Croatie, le Monténégro ou les demandes d’adhésions de la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, la République de Macédoine du Nord et l’Ukraine pour avancer leurs propres intérêts. Ce n’est pas le mouvement vers l’intégration qui prédomine aujourd’hui en Europe mais les forces centrifuges.

Aujourd’hui, devant les menaces par l’impérialisme américain de taxation des exportations européennes aux États-Unis d’acier, d’automobiles, d’aéronautique etc. devant l’offensive économique de l’impérialisme chinois, la plupart des dirigeants capitalistes européens jugent indispensable que l’Union européenne renforce à ses frontières les règles protectionnistes pour la protéger de la concurrence, évidemment jugée déloyale. Cela ne fera qu’amplifier la guerre économique, entrainer la réduction des échanges et accélérer la crise économique. Le protectionnisme précipite toujours la dépression économique et débouche sur la guerre.

En régime capitaliste, le développement égal des différentes économies et des différents États est impossible. Les seuls moyens possibles de rétablir de temps en temps l’équilibre compromis, ce sont en régime capitaliste les crises dans l’industrie, les guerres en politique. (Vladimir Lénine, Sur le mot d’ordre des États-Unis d’Europe, août 1915)

Le réchauffement climatique, la pollution des océans, des nappes phréatiques, la destruction des espèces animales et végétales s’accélèrent partout dans le monde. Les écologistes culpabilisent les individus en prônant les vertus d’un comportement « écoresponsable » dans leur consommation. De nombreux dirigeants européens affichent volontiers leur sensibilité écologique.

Mais la consommation des travailleurs n’a rien à voir avec les terrains de golf, les jets privés et les yachts… des capitalistes. La cause principale de ces dangers mortels pour l’humanité n’est pas à chercher ailleurs que dans la domination du capitalisme sur toute la planète. Production, échange, répartition, consommation, crédit, tout est déterminé par les règles du profit des capitalistes, sans souci aucun de l’environnement, sauf quand certaines mesures de protection de l’environnement deviennent elles-mêmes une source de profit, ce qui les tournent alors en leur contraire.

L’Union européenne des bourgeoisies capitalistes et impérialistes pour les plus puissantes n’échappe pas à cette logique. Après les trucages des constructeurs automobiles sur les normes de pollution des moteurs diesel, sur la consommation réelle des moteurs à essence, voilà que les principaux groupes capitalistes automobiles européens ne jurent que par la voiture électrique comme un nouvel eldorado. Mais comment sera produite l’énergie électrique nécessaire à son fonctionnement, comment seront maîtrisés les coûts et les dommages environnementaux, en Europe et dans le monde, occasionnés par la fabrication des batteries et leur déconstruction en fin de vie, ceci ne rentre pas dans leurs calculs ! Et tout est à l’avenant, de l’utilisation des pesticides à grande échelle au développement anarchique des villes avec leur cortège de nuisances dont souffrent les populations les plus pauvres. Malgré toutes les professions de foi, la nature capitaliste de l’Union européenne des bourgeoisies ne peut être ni devenir un moteur dans la lutte contre la destruction de la planète.

L’Union européenne n’a pas protégé les travailleurs et les jeunes de la crise capitaliste mondiale de 2008-2009, de la crise européenne de la dette de 2010-2012 et de leurs conséquences. Les grands groupes industriels, les banques ont certes été préservés de la faillite à coups de milliards d’euros, mais les travailleurs et les jeunes en ont fait les frais, en particulier en Grèce, en Espagne et au Portugal. Depuis, chaque pays capitaliste européen a accentué les pressions sur sa propre classe ouvrière pour maintenir ou augmenter le taux de profit par la baisse des salaires, l’allongement du temps de travail, l’intensification du travail, la baisse des pensions de retraite, les facilités de licenciement, la restriction des accès à la santé, à la formation…

Le mythe chauvin de la Commission européenne au-dessus des États bourgeois nationaux

Évidemment, aucun gouvernement ne néglige d’attribuer à l’Union européenne la responsabilité des mesures impopulaires qu’il prend pour le compte de sa bourgeoisie. Le Parti conservateur britannique, la Ligue italienne et bien d’autres usent régulièrement de cette ficelle. Les partis fascisants et les partis fascistes, comme une partie du mouvement ouvrier (en particulier les anciens partis staliniens et divers avatars du réformisme et du centrisme), dénoncent une « Europe » toute puissante qui dicterait leur conduite aux États nationaux dépouillés de leur souveraineté. Ce poison nationaliste est un leurre.

Le Parlement européen n’a pas de réels pouvoirs, puisque les décisions de l’Union européenne sont prises par le « Conseil européen » (et dans une moindre mesure le « Conseil de ministres »), c’est-à-dire par accord entre les 27 pouvoirs exécutifs nationaux. Elles sont appliquées par la « Commission européenne » dont les commissaires sont nommés par les gouvernements nationaux. De même, le président et les gouverneurs de la Banque centrale européenne sont nommés par les 19 gouvernements de la zone euro.

L’Union européenne repose sur des compromis entre les États qui la composent et en particulier sur des tractations entre les plus puissants (Allemagne, France, Italie et, tout un temps, Grande-Bretagne). Les « sommets franco-allemands » ne figurent pas dans les traités communautaires, mais ils préparent, depuis 1957, les réunions du Conseil européen, en passant par-dessus la tête de la Commission et du Parlement. Ainsi, aucune décision importante de l’UE n’a été prise sans l’accord des pouvoirs exécutifs allemand et français : création du marché commun en 1957, adoption d’une politique agricole commune en 1962, élargissement de 1973, adoption de parités fixes entre les monnaies en 1979, décision d’une monnaie unique en 1992, lancement de l’euro en 1999, élargissement de 2004, adoption de nouvelles règles de fonctionnement en 2009, aide à la Grèce en 2010, conditions fixées pour le Brexit en 2018…

Le budget de l’Union européenne prouve qu’elle est loin de constituer un État. D’abord, elle n’a pas le droit de lever elle-même des impôts et elle est financée pour l’essentiel par des contributions des États membres. Ensuite, ses ressources s’élèvent seulement à 1 % du PIB de la zone et tout déficit est interdit par les traités.

L’Union européenne n’a guère de politique internationale commune et ne dispose d’aucun moyen militaire pour l’appliquer. L’intervention impérialiste américaine, britannique, italienne, espagnole en 2003 en Irak s’est faite contre l’avis de la Russie, de l’Allemagne et de la France. L’intervention impérialiste américaine, française, britannique, italienne et espagnole en 2011 en Libye a eu lieu malgré le gouvernement allemand. Les interventions impérialistes françaises en 2013 au Mali et en Centrafrique, puis l’opération Barkhane ont été décidées sans consulter l’UE ni les autres gouvernements. Aujourd’hui en Libye, de nouveaux affrontements opposent deux factions dont l’une est soutenue par l’Italie et l’autre par la France.

Derrière une façade démocratique, l’Union européenne recouvre une hiérarchie d’États, avec à sa tête une poignée de grands pays impérialistes, à périphérie des pays dominés qui attirent la convoitise d’autres impérialismes, États-Unis, Chine, Russie…et entre les deux des impérialismes de taille réduite.

Lors de la crise capitaliste mondiale de 2008-2009, ce fut chacun pour soi en Europe : chaque État a financé abondamment, sans aucun respect du « libéralisme » ni des règles de déficit public et de dette publique de l’UE, ses groupes financiers et ses entreprises automobiles. Aucune sanction n’a jamais été prise par la Commission européenne pour manquement aux limites budgétaires fixées par les traités (déficit public inférieur à 3 % du PIB, dette publique inférieure à 60 %, déficit « structurel » inférieur à 0,5 % du PIB).

Les gouvernements européens répriment et repoussent les migrants

En Europe, les principaux pays impérialistes (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Espagne…) sont coupables de piller les pays dominés de leur continent et du monde entier. Tirant de juteux profits de cette exploitation misérable, leurs gouvernements orchestrent par mille moyens sociaux, politiques, médiatiques la division entre leurs propres travailleurs (chômage, sexe, race, origine, âge, statut légal, orientation sexuelle, conditions de travail…). Pour maintenir cette domination dans leurs propres pays, les bourgeoisies interdisent aussi l’ouverture des frontières dont ont besoin des millions d’êtres humains. Précisons que passer ces frontières ne posent aucun problème si les exilés sont millionnaires.

À partir de 2014, l’Union européenne a vu des centaines de milliers de migrants demander de l’aide et l’accueil chaque année, les pays méditerranéens constituant le point d’entrée en Europe. Dans tous les cas, l’accueil fut soumis à des conditions drastiques, de surveillance immonde et très peu ont profité d’un véritable asile ou d’un droit de séjour. Sur 1 240 000 demandes d’asile dans l’UE en 2017, seulement 538 000 ont été acceptées dans des conditions misérables, soit un « taux de protection » de l’ordre de 45 %.

Si l’Allemagne, en pénurie de main-d’œuvre, a choisi temporairement d’accueillir une partie des migrants (890 000 en 2015), tous les autres pays ont restreint ou interdit les flux et pratiqué une répression accrue : suspension de l’accord de Schengen, contrôle aux frontières, limitation du nombre de migrants accueillis, refus d’accorder l’asile après des mois d’attente dans la pauvreté, détention, démantèlement de camps construits par les migrants, reconduite à la frontière européenne du pays où ils sont entrés dans l’UE (règle des « dublinés »)…

Fin 2015, le gouvernement Merkel fait marche arrière et se résout à arrêter les migrants en dehors des frontières de l’UE et de l’espace policier qui en dépend (Schengen). Un accord est imposé en mars 2016 à la Turquie et à la Grèce, tous deux soumis aux diktats de Paris et Berlin qui sont les gouvernements dominants de l’UE. En échange de quelques milliards, Erdoğan doit garder dans des camps des millions de réfugiés du Machrek. La Grèce du gouvernement front populaire Syriza-ANEL de Tsipras est invitée à trier les migrants sur des îles et les renvoyer en masse vers la Turquie. Fin 2018, plus de 60 000 d’entre eux sont encore bloqués dans des camps aux conditions sanitaires désastreuses. Des centaines de milliers ont été expulsés par l’accord voulu par Merkel, Macron, May, Renzi…

L’autre chemin de migration passe par la Libye. Les successeurs de Khadafi sont aux ordres des grandes capitales européennes, Paris et Rome en tête.

Depuis que la route par la Grèce et la Libye s’est refermée, l’UE aide le Maroc à « équiper ses garde-côtes » avec 148 millions d’euros versés en 2018 destinés à lutter contre les passeurs. En 2018, ce sont près de 100 000 migrants qui ont été arrêtés au Maroc, puis expulsés vers leur pays ou enfermés dans des camps. En Espagne, les partis bourgeois PP et Ciudadanos font un front commun avec le nouveau parti fascisant Vox qui veut renvoyer tous les réfugiés. En France, les partis LR, RN, DF aiguillonnent le gouvernement Macron qui veut instaurer des « quotas annuels » d’accueil de réfugiés et qui a adopté en septembre 2018 une loi « Asile et immigration » plus restrictive contre les immigrés. En Allemagne, l’AfD fascisante et islamophobe pousse la CDU-CSU à instaurer la peur de l’étranger. En Italie, le gouvernement nationaliste Ligue du Nord-Mouvement 5 étoiles démantèlent les aides d’État aux migrants et autorise ses garde-côtes à les repousser vers la Libye. Le récent décret-loi de Salvini a supprimé les permis de séjour humanitaires octroyés à 25 % des demandeurs d’asile pour deux ans.

Les bateaux d’ONG n’ont plus le droit de sauver les migrants en Méditerranée. Le bateau L’Aquarius 2 de l’ONG française SOS Méditerranée est bloqué par le gouvernement Macron qui a refusé de l’enregistrer sous pavillon français. En janvier 2019, les bateaux d’ONG allemandes Sea Watch 3 et Sea Eye ont été contraints de rester dans les eaux internationales avec des migrants naufragés car aucun pays de l’UE n’était d’accord pour les faire accoster. Près de 17 000 migrants sont morts noyés selon l’ONU depuis 2014 dont plus de 1 800 en 2018. Ce sont des milliers d’autres qui meurent chaque année, tués par la police, de faim et de soif, dans des camps de réfugiés tenus par des mafieux ou dans le désert quand les polices marocaine, libyenne, algérienne les abandonnent à plusieurs kilomètres de leurs frontières.

La résistible montée du racisme et du fascisme

Dans chaque pays membre, une fraction du capital n’avait pas su faire face à l’ouverture des frontières et à la compétition des autres firmes européennes. La montée irrésistible de l’Allemagne, depuis son absorption de la RDA en 1990 et l’ouverture de l’Europe centrale à ses marchandises et à ses capitaux inquiète les autres bourgeoisies de l’UE. La crise capitaliste mondiale de 2008-2009 a creusé l’écart entre le capitalisme allemand et son rival français.

Une partie de la bourgeoisie allemande, néerlandaise, danoise, finlandaise… est réticente à aider les bourgeoisies du Sud.

Les partis racistes et fascistes se servent des étrangers comme de boucs émissaires. Les gouvernements les plus « démocratiques » chassent les travailleurs immigrés et même les Roms qui sont pourtant citoyens de pays membres.

Le chômage de masse, conjugué à l’impuissance, à la couardise et aux trahisons répétées des partis « réformistes » et des directions syndicales, alimentent la montée des partis xénophobes qui vont jusqu’au néonazisme. En l’espace de 10 ans, de 2008 à 2018, la progression de ces organisations en Europe est spectaculaire. Des groupes et partis fascistes attaquent déjà les militants ouvriers, les minorités nationales et les étrangers avec la complicité de la police en Grèce, Allemagne, en Hongrie, en France… En Autriche, en Finlande, des partis fascisants participent aux gouvernements. En Italie, la Ligue alliée au mouvement populiste M5S dirige le gouvernement. En Hongrie et en Pologne, les partis bourgeois aux gouvernements font concurrence aux partis fascistes dans la xénophobie et le nationalisme. Aux Pays-Bas les partis islamophobes se maintiennent à un niveau électoral élevé. En Espagne, le parti fasciste Vox gagne du terrain. En Grande-Bretagne, le nouveau Brexit Party violemment xénophobe fondé par l’ancien dirigeant de l’UKIP, Farage, se nourrit de l’impasse du gouvernement et des ambigüités du Parti travailliste…

La classe ouvrière pourrait y mettre rapidement fin, mais cela implique de n’accorder aucune confiance l’État bourgeois, à ses lois, à ses juges et à ses policiers pour contrer « l’extrême-droite », à l’inverse de ce que prônent à longueur de temps les organisations de masse de la classe ouvrière. Cela implique la mobilisation résolue de la classe ouvrière avec ses propres méthodes d’organisation et de combat, sur le terrain de l’indépendance de classe, imposant le front unique, pour aider les migrants à s’organiser et débarrasser le plancher des résurgences des organisations fascistes et autres apprentis nazillons. Pour couper l’herbe sous le pied des partis racistes et fascistes, il faudrait que les organisations issues de la classe ouvrière rompent avec toute leur bourgeoisie, avec la fraction pro-UE comme avec la fraction anti-UE, avec le prétendu « intérêt national » qui divise la classe ouvrière et la soumet à ses exploiteurs, qu’elles s’engagent dans la voie du gouvernement des travailleurs.

Pour la révolution sociale dans toute l’Europe, de la Turquie à l’Islande, du Portugal à la Russie

Les prolétaires, pour s’émanciper et libérer la société de l’entrave et de la menace que représente désormais le mode de production capitaliste, doivent affronter la bourgeoisie tout entière et marcher au socialisme mondial.

Les partis sociaux-patriotes (« travaillistes », « sociaux-démocrates », « socialistes », « communistes ») subordonnent le prolétariat à sa bourgeoisie. Flanqués des organisations centristes (les faux « trotskystes » qui renient l’insurrection et la dictature du prolétariat, les débris du maoïsme, etc.), ils prétendent améliorer l’Union européenne ou, encore plus stupidement, que le capitalisme dans un seul pays est viable et préférable. Les partis « réformistes » qui gouvernent le font pour leur bourgeoisie et contre la classe ouvrière. Les directions syndicales sont aussi des bureaucraties qui n’ont plus à « négocier » que les attaques patronales et gouvernementales. Pour se défendre, les travailleurs doivent affirmer leur indépendance à l’égard de tous les capitalistes, leur arracher le pouvoir, unifier le continent.

Cent ans après la première guerre mondiale, pour empêcher l’Europe de sombrer à nouveau dans le nationalisme et la guerre, pour ouvrir un avenir progressiste, il faut au prolétariat une nouvelle direction, une internationale ouvrière et dans chaque État un parti de type bolchevik, internationaliste et révolutionnaire.

Ainsi, les ouvriers, les employés, les techniciens, etc. pourront s’unir et rallier les chômeurs, les couches semi-exploitées (travailleurs indépendants, encadrement), les jeunes en formation pour renverser la domination de la minorité bourgeoise, conquérir le pouvoir politique, abolir les anciens rapports de production, étendre la révolution européenne, collaborer avec les autres gouvernements ouvriers issus de la révolution socialiste dans les pays qui constituaient l’UE et les autres (y compris la Turquie que « l’Europe » capitaliste rejette).

Aux mots d’ordre de désespoir national et de folie nationale, il faut opposer les mots d’ordre qui proposent une solution internationale. (Léon Trotsky, Le Tournant de l’IC et la situation en Allemagne, septembre 1930)

  • Alignement du droit du travail sur les règles les plus avantageuses de toute l’Europe ! Interdiction des licenciements ! Échelle mobile des salaires et des heures de travail ! Distribution du travail entre tous les travailleurs ! Contrôle des travailleurs sur l’embauche et la production !
  • Abrogation de toute législation limitant les droits démocratiques! Liberté d’expression, de réunion, d’organisation, de grève et de manifestation dans tous les pays ! Libération immédiate des « gilets jaunes », des militants ouvriers turcs, des opposants russes… ! Levée des poursuites judiciaires contre tous les militants ouvriers et sociaux !
  • Respect des minorités nationales ! Droit de séparation des minorités nationales ! Libération immédiate de tous les prisonniers politiques kurdes, tatars, basques… ! Levée de toutes les poursuites judiciaires contre les militants catalans !
  • Libre circulation des travailleurs de tous les pays en Europe ! Mêmes droits pour tous les travailleurs ! Ouverture des frontières aux migrants, droit d’installation et de circulation, des papiers pour tous !
  • Enseignement et soins universels, laïcs, de qualité et gratuits ! Annulation de toutes les attaques contre le salaire indirect ! Expropriation sans indemnité des banques et des compagnies d’assurances ! Annulation de toutes les dettes publiques !
  • Logement digne et bon marché pour tous les travailleurs ! Municipalisation de toutes les terrains urbains ! Expropriation sans compensation de toutes les logements aux mains de grands propriétaires (capitalistes immobiliers individuels, banques, assurances, sociétés immobilières…) ! Pas une expulsion ! Blocage immédiat des loyers des logements !
  • Séparation complète de l’État et de toute religion ! Aucune subvention d’aucun culte ! Abrogation des lois contre le « blasphème » ou « l’offense aux convictions religieuses » ! Interdiction de toute propagande religieuse dans les lieux de formation ! Libre accès dans toute l’Europe à la contraception et à l’interruption de grossesse !
  • Abolition des monarchies ! Dissolution des chambres parlementaires non élues au suffrage universel (Chambre des Lords britannique, Sénat français…) ! Rémunération des élus au salaire d’une travailleuse qualifiée ! Révocabilité des élus !
  • Tous les États d’Europe, hors de l’OTAN ! Fin des interventions militaires extérieures européennes et fermetures des bases militaires à l’étranger !
  • Autodéfense des luttes ouvrières et des organisations ouvrières contre toutes les bandes du capital ! Dissolution des armées professionnelles, des corps de répression et armement des travailleurs !
  • Renversement de tous les gouvernements bourgeois ! Création de conseils de travailleurs ! Gouvernement sans ministre bourgeois basé sur les conseils ! Suppression des frontières ! États-Unis socialistes d’Europe !

L’ennemi principal est dans notre propre pays. L’unité de l’Europe et le socialisme mondial ne pourront être que le fruit d’une révolution sociale menée par une classe qui n’est ni possédante ni exploiteuse, qui est internationale et non nationale.

Le triomphe de la révolution socialiste dans le continent donnera un élan à la révolution en Afrique du Nord, au Proche-Orient et dans le monde entier, ce qui permettra d’assurer les conditions du socialisme mondial.

Construisons l’internationale dont les drapeaux rouges proclameront : vive l’union des gouvernements ouvriers et paysans du monde !

21 avril 2019

Collectif révolution permanente